Revue Française des Méthodes Visuelles
Géographies audiovisuelles

N°3, 07-2019
ISBN : 978-2-85892-471-4
https://rfmv.fr/numeros/3/

Texte d’introduction aux deux entretiens



Laura Corsi, Doctorante en géographie, Université de Bretagne Occidentale / Tébéo, UMR 6554 LETG

Chloé Buire, Chargée de Recherche, CNRS, UMR 5115 Les Afriques dans le Monde

Les deux entretiens prolongent la réflexion du dossier en dépassant le cadre des films de géographes français actuels. Ils ont été menés par une géographe-réalisatrice et un géographe-réalisateur dont les travaux constituent selon nous des contributions majeures au champ des géographies audiovisuelles. Dans le premier échange, Marion Ernwein interroge Matthew Gandy, professeur de géographie à l’université de Cambridge et réalisateur. Dans le second, Benoît Raoulx questionne Xavier Browaeys, fondateur de l’enseignement de l’audiovisuel dans les cursus de géographie en France et réalisateur de nombreux films.

Les deux entretiens répondent à plusieurs préoccupations qui ont surgi au moment d’assembler ce dossier consacré à la pratique du film par les géographes aujourd’hui. Le premier de ces enjeux est celui de la formation au langage audiovisuel en général et à la réalisation en particulier. À quel moment des personnes formées à la production de savoirs académiques acquièrent-elles la confiance et la légitimité de s’affirmer comme géographes-réalisatrices ou géographes-réalisateurs ? Le croisement des témoignages de Matthew et Xavier invite à placer l’expérience et la prise de risque individuelle au cœur du processus d’apprentissage. On retrouve dans ces témoignages la tendance déjà présente dans les articles du dossier à privilégier une approche par la pratique, dans laquelle la formalisation théorique n’intervient qu’a posteriori, plutôt que dans la reproduction de certains protocoles méthodologiques préétablis.

Il est intéressant de remarquer combien ces deux géographes situent l’origine et la formation de leur démarche dans leur cinéphilie mais également dans leur collaboration avec d’autres professionnels, géographes et équipes de réalisation. Nous voyons ici l’importance d’un travail de fond, plus discret mais néanmoins essentiel pour toute personne voulant mobiliser l’outil audiovisuel pour ses recherches : acquisition d’une culture cinématographique sur le temps long, développement de partenariats multiples tant pour l’écriture que pour les aspects plus techniques de la réalisation, renoncement à un contrôle strict de la diffusion de son travail.

Le deuxième enjeu transversal qui émerge du croisement de ces entretiens tient aux types d’objets se prêtant au travail filmique. Sans surprise, on retrouve la place centrale accordée aux mutations des paysages et à la relation humains-environnement. Malgré la différence de temps et de lieux, il est évident que certaines spécificités disciplinaires se reproduisent dans les films des géographes. Les questionnements introduits par Benoît et Marion invitent toutefois à renouveler le point de vue des chercheurs sur leur problématique. Marion amène ainsi Matthew à préciser la place du film dans sa compréhension de la dimension incontrôlée de l’émergence d’espaces naturels au cœur des villes. Benoît quant à lui invite Xavier à questionner la place de la poétique dans son travail, et les effets de proximité entre art et science.

Croiser les expériences de deux géographes ne signifie évidemment pas les réduire à quelques traits communs. Retenons de ces expériences que tous deux ont su convaincre leur milieu professionnel ainsi que des financeurs variés de la validité scientifique des démarches de recherche avec le film. C’est justement cette capacité de la géographie audiovisuelle, en différents lieux et à différents moments, à se montrer à la fois fragile et convaincante, multiple dans ses formes et ses thématiques, mais cohérente dans ses cadres éthiques et heuristiques, qui explique sans doute son succès auprès des doctorantes et des doctorants d’aujourd’hui, malgré les obstacles techniques, financiers et institutionnels qui continuent d’alimenter les débats. Peut être est-il d’ailleurs préférable de célébrer cette richesse plutôt que de tenter de la « discipliner » et d’encourager de nouveaux projets ambitieux en parallèle des efforts de clarification méthodologique auxquels le présent numéro de la RFMV entend contribuer.