Chloé Buire, Chargée de Recherche, CNRS, UMR 5115 Les Afriques dans le Monde
Lucile Garçon, Docteure en Géographie, Post-doc, UMR Selmet, projet Grazy! (Agropolis Fondation), Association Kwagga
Esfandyar Torkaman-Rad, Doctorant, Université de Caen-Normandie, CNRS, UMR 6590, ESO Caen
Le développement d’approches audiovisuelles dans le cadre de recherches dites participatives invite à s’interroger sur les différentes modalités de construction et de partage des savoirs. Les trois expériences méthodologiques relatées ici illustrent comment la caméra peut être utilisée pour transformer la distance qui sépare les chercheur·ses des personnes sur lesquelles portent leurs enquêtes en une opportunité de partage d’expériences, et, plus largement, en un espace d’expérimentation épistémologique et politique. Ce retour critique sur des démarches audiovisuelles participatives menées dans trois contextes très différents met en évidence la variété des outils disponibles pour les chercheur·ses, que ce soit au moment de l’écriture, du tournage, du montage ou de la diffusion. Entre idéaux théoriques d’égalité et réalité des jeux de pouvoirs qui traversent le travail universitaire, il pointe finalement autant les obstacles et les résistances que les furtifs moments de surgissement de nouvelles géographies partagées.
Mots-clés : Audiovisuel, Recherche Participative, Savoirs situés, Intersubjectivité, Géographie Partagée
The development of audiovisual approaches in the field of participatory research questions the modes of construction and dissemination of knowledge. The three methodological experiments presented here illustrate how video cameras might be used to transform the distance between the researchers and the people concerned by their work into an opportunity of shared experience and into a space of epistemological and political creativity. This critical reflection on participatory audiovisual projects led in three contrasted contexts highlights the diverse tools available to the researcher, in terms of writing, shooting, editing or screening. Between theoretical ideals of equality and the reality of power relationships that shape academic work, the paper eventually speaks both of obstacles and resistances and of the elusive moments where these new shared geographies might come to life.
Keywords : Audiovisual, Participatory Research, Situated Knowledge, Intersubjectivity, Shared Geographies
La recherche en sciences sociales est de plus en plus communément admise comme partie prenante des réalités sociales qu’elle analyse. Des comités d’éthique de tout ordre exigent que les besoins des personnes concernées par un projet de recherche soient activement pris en considération par les chercheur·ses1. La réflexivité des chercheur·ses sur leur impact social n’est plus une simple annexe au travail ethnographique mais bien un gage de validité éthique, de robustesse scientifique et donc de légitimité du savoir. L’ouvrage de James Clifford et George Marcus (2007 [1986]) sur la dimension politique du travail ethnographique est certainement un des textes fondateurs pour cette inscription de la réflexivité au rang des méthodes de sciences sociales en général. Les réflexions épistémologiques d’auteures féministes telles que Donna Haraway (2007 [1988]) ont par ailleurs encouragé les chercheur·ses à concevoir les savoirs scientifiques comme des constructions nécessairement situées. On peut également citer Trinh Min-ha (1991) qui, déconstruisant plus spécifiquement la relation de pouvoir qui soumet la personne interviewée à l’autorité des documentaristes, en appelle à des écritures intersubjectives non-binaires.
Le présent article prend acte de cette posture épistémologique qui conduit à produire du savoir avec plutôt que sur le réel et à s'interroger sur les façons de le faire. Le développement de méthodes visuelles dans le cadre de recherches dites participatives donne une opportunité singulière de poser et instruire cette question. Revendiquant une approche scientifique « non dogmatique, basée en grande partie sur la réflexivité et le ''bricolage'' méthodologique » (Bouldoires, Meyer et Reix, 2017), les méthodes visuelles soulèvent de manière très concrète des questions éthiques, épistémologiques et politiques quant à la mise en pratique de démarches participatives. Toutefois, si au cours des dernières années, les initiatives académiques discutant de l'intérêt de l'utilisation d'images en sciences sociales en général et de la définition de l’audiovisuel participatif en particulier se sont multipliées, rares sont celles qui exposent la façon dont elles sont mises en œuvre (Holliday, 2004 ; Kindon, 2003 ; Mamou, 2013 ; Petit et Colin, 2009 ; Pauwels, 2015).
Effectuant un retour critique sur trois démarches de recherche en géographie conduites à travers la réalisation de films, nous interrogerons les possibilités d'intersubjectivité qu'ouvrent de telles formes d'écriture. Les trois expériences méthodologiques relatées ici sont ancrées dans différents contextes géographiques et sont issues de cadres épistémologiques et politiques contrastés (voir l’encadré à la fin de l’introduction).
Chloé Buire, géographe spécialisée sur la question des identités citadines dans des contextes de transition démocratique, a conduit des ateliers d’écriture audiovisuelle auprès de jeunes Sud-Africain·es dans le cadre d’un projet de recherche portant sur la citoyenneté dans des sociétés où les divisions sociales ont été à l'origine de conflits violents2. Docteure en géographie, Lucile Garçon explore différentes méthodes visuelles pour mener une recherche en sciences sociales favorisant les interactions avec une multitude d'acteurs et d’actrices. Elle mobilise la vidéo non seulement comme mode de diffusion et de mise en discussion des résultats de recherche, mais également comme outil d’investigation collaborative. Esfandyar Torkaman Rad a quant à lui parcouru le chemin en sens inverse. Réalisateur de formation et de métier, il s’est lancé dans un projet de doctorat en géographie sociale associant réflexion théorique et création documentaire autour de l’intersectionnalité des formes d’oppression et de leurs rapports aux politiques de l’espace.
Si nous avons choisi de prendre la plume ensemble malgré l’hétérogénéité de nos profils et de nos parcours, c’est parce que nous avons en commun une approche expérimentale des méthodes audiovisuelles participatives. Nous partageons les principes élémentaires résumés par Prosser (2013, p. 189) : d’une part l’ambition de fabriquer « un récit qui véhicule ce que les personnes participant au projet veulent communiquer dans la forme qu’ils souhaitent3 », et d’autre part la volonté de faire de cette activité « un acte visant à leur donner le pouvoir [an act of empowerment] de changer leur vie à un niveau personnel ou collectif ». Mais le consensus qui existe autour de ces deux principes dans la littérature méthodologique cache des tensions majeures quant à la portée politique de ces approches. À la suite de Kiven Strohm (2012), nous présentons ainsi dans la première partie l'écriture audiovisuelle participative comme un exercice politique de recherche partagée, c'est à dire comme une démarche de mise en partage de la fabrication des savoirs, où l’égalité entre la personne qui observe et celle qui est observée est un point de départ et non un simple horizon philosophique ou une recommandation éthique.
La deuxième partie de l’article expose plus précisément les dispositifs filmiques que nous avons mis en place. Que ce soit dans les essais de tournage égalitaire menés par Esfandyar avec différentes femmes qui l’ont conduit sur le chemin du féminisme, dans les digital stories produites par Chloé et cinq jeunes membres d’une ONG locale dans un quartier issu de l’apartheid au Cap, ou dans la fabrication par Lucile d’un film-choral associant divers acteurs et actrices concerné·es par l’élevage pastoral en Provence et dans les Alpes du Sud, nos expériences pratiques proposent des pistes concrètes permettant de partager la construction d’un regard et d’inventer des méthodes de production du savoir fondées sur l’égalité entre les participant·es.
La troisième partie interroge finalement en quoi nos projets ont pu être des actes politiques. C’est sans doute le projet d’Esfandyar consacré aux questions de domination qui pointe le plus explicitement les limites que nous avons rencontrées dans cette quête. Son expérience montre les antagonismes politiques profonds qui opposent un projet universitaire de thèse et une démarche de création participative d’un film politique. Nos démarches audiovisuelles interrogent finalement la possibilité d’écriture de géographies partagées, et donc les fondements épistémologiques et politiques des savoirs que nous produisons.
Esfandyar travaille depuis trois ans sur un projet de thèse sur le thème « La géographie sociale des espaces alternatifs à travers des récits personnels : L’intersectionnalité des formes d’oppression et son rôle dans les processus de l’attribution et de l’appropriation d’espaces ». L'enjeu central est de développer une approche intersectionnelle (c’est à dire traitant simultanément les questions du genre, de la sexualité, de la race, de la classe, etc.) pour étudier les différents rapports de pouvoir existants et leurs rôles dans les processus de création, d’aménagement et d’appropriation de l’espace à l’échelle micro et macro. En plus du travail théorique, ce projet intègre la réalisation d'un film documentaire de création.
Pour le film prévu initialement, intitulé « Personal responsibility », Esfandyar aspirait à une création artistique collective avec ses personnages qui prendrait une forme alternant entre biographies et autobiographies où chaque personnage pourrait adopter une posture polyvalente de réalisatrice·eur/personnage, intervieweuse·eur/interviewé·e, observatrice·eur/observé·e, etc. Ce projet visait ainsi à mettre en place une dialectique entre l’espace filmique et l’espace réel et à contester les rapports de pouvoir existants au sein même du travail de recherche. Au fil de son travail, Esfandyar a dû renoncer à certains objectifs et l'emploi des méthodes partagées pour les raisons qui sont en partie prises en considération dans cet article. Ce projet de thèse avec support filmique continue toutefois son chemin mais prend des orientations plus classiques afin de répondre aux exigences universitaires.
Le projet Grazy ! a été rédigé dans la continuité d’une démarche de recherche conduite à l’échelle internationale par plusieurs chercheur·ses de Montpellier s’intéressant à l’élevage pastoral. Il s’agissait entre autres d’élaborer un modèle conceptuel permettant d’évaluer la multifonctionnalité de cette activité. Après avoir effectué en tant que réalisatrice un travail d’enquête filmé sur différents terrains de ce réseau de chercheur·ses5, Lucile a proposé de poursuivre le travail engagé autour des films sur le plan méthodologique. L’idée du projet Grazy ! est née à la croisée de deux principales préoccupations. D’une part, il était question de valoriser l’important matériau audiovisuel collecté dans le cadre de la réalisation de courts-métrages. D’autre part, il s’agissait d’éprouver la robustesse d’un modèle conceptuel élaboré sur la base d’une revue de littérature dans le cadre d’ateliers rassemblant des chercheur·ses de différents horizons – scientifiques et géographiques. Financé par la Fondation Agropolis dans le cadre de son appel à projets « Open Science », le projet a permis d’associer aux chercheur·ses expert·es des questions d’élevage, une anthropologue adepte des méthodes visuelles, un spécialiste des sciences de l’environnement, un modélisateur, un écologue6, et de transformer la réalisatrice micro-entrepreneure en post-doc. Il ne s’agissait plus seulement de réaliser des films sur des territoires ou des communautés concernées par les questions d’élevage, mais également de forger un outil permettant d’instruire avec les principaux intéressé·es les questions de recherche identifiées au sein du réseau de chercheur·ses.
Chloé a travaillé pendant deux ans en tant que post-doctorante au sein du projet YouCitizen, dirigé par Lynn Staeheli à l’université de Durham. L’objectif général du projet était de comprendre comment la jeunesse de pays fortement divisés (Liban, Bosnie-Herzégovine et Afrique du Sud) faisait sens du concept de citoyenneté véhiculé par la communauté internationale. D’août 2014 à décembre 2015, Chloé a ainsi réalisé un terrain ethnographique auprès d’adolescent⋅es et de jeunes adultes participant à des projets associatifs dans divers quartiers défavorisés du Cap, en Afrique du Sud. Cette immersion sur le temps long s’est accompagnée d’actions plus ponctuelles auprès de six ONGs, comprenant notamment l’animation de focus groups, la participation à des journées de formation organisées par des lycées et/ou des ONGs, l’organisation d’exercices de cartographie affective, et, dans deux cas, la conduite d’ateliers de narration audiovisuelle (digital story telling).
Les exemples développés ici sont issus de l’un de ces ateliers, réalisé en partenariat avec une ONG promouvant les technologies numériques comme outil d’éducation et de reconstruction économique et sociale. Lors de cet atelier, cinq jeunes âgé·es de 19 à 25 ans ont réalisé un diaporama sonore d’environ 3 minutes relatant un épisode marquant de leur vie. Ces digital stories illustrent comment de jeunes Sud-Africain·es marginalisé·es par le système urbain dominant (difficulté d’accès au centre-ville et donc à l’éducation supérieure ou à l’emploi pérenne) donnent sens à leur statut de citoyen·nes. L’une des caractéristiques dominantes de ces récits est l'ambivalence des sentiments exprimés : optimisme et manque de débouché, fierté entrepreneuriale et besoin de reconnaissance, amitié et solitude, etc.
D’une manière assez consensuelle dans les textes théoriques qui leur sont consacrés7, les méthodes participatives mettent à l’horizon de la recherche un objectif de lutte contre l’invisibilisation et la marginalisation des dominé·es (Kindon, 2003 ; Mamou, 2013 ; Petit et Colin, 2009 ; Pauwels, 2015). Ce « populisme méthodologique » (Olivier de Sardan, 2001) souffre toutefois d’un défaut de méthode dans le champ des démarches audiovisuelles.
La principale critique adressée à l’audiovisuel participatif tient au fait que la participation s’arrête souvent à la production. A posteriori, rien n’est partagé ni économiquement, ni symboliquement. Dans un court texte adressé au bulletin de l’Association Américaine d’Anthropologie, Karen Nakamura (2008) prend position contre la distribution d’appareils photo jetables en s’appuyant sur l’exemple d’un projet mené par des étudiant·es auprès de personnes avec lesquelles elle-même conduisait un projet de film ethnographique dans le Nord du Japon :
Au bout de la douzième photo, les participant·es commencèrent à se lasser et à prendre des photos au hasard […] Quels bénéfices en tirèrent les participant·es en fin de compte ? Il·elle·s ne reçurent aucune formation en photographie, traitement d’image ni informatique. Les anthropologues gardèrent les photos pour elleux. On ne pouvait que se demander quelle signification ces apprenti·es anthropologues attribueraient à ces images par la suite, en particulier celles de la deuxième moitié des pellicules
(Nakamura, 2008, p. 20)
Pour Nakamura, un projet audiovisuel participatif doit au moins permettre à celles et ceux qui y prennent part d’apprendre quelque chose sur le plan technique, et garantir que les chercheur·ses puissent faire sens des matériaux récoltés.
Nos trois démarches diffèrent par la place qui y est faite à l'initiation technique des participant·es : tandis que les jeunes impliqué·es dans le projet des digital stories rassemblent et produisent eux-mêmes une partie des images, dans le cas du projet Grazy!, la chercheuse-réalisatrice fut la seule à tenir la caméra. Si les instruments de prise de vue circulent volontiers entre Esfandyar et les personnes qu'il mobilise, cela n'implique cependant pas de formation technique. Néanmoins, nos trois projets sont basés sur des allers-retours constants entre ce que nous comprenons des processus que nous documentons et ce que les participant·es elleux-mêmes veulent en dire. Cette précaution méthodologique soulève cependant un autre axe de la critique qui peut être adressée aux projets participatifs. Qui définit ce qui représente, ou non, un « bénéfice » pour les participant·es ?
Dans son effort de définition des différentes méthodes participatives, Pauwels (2015) est catégorique. Les chercheur·ses doivent tenter de garder le contrôle sur les protocoles de la recherche. Il affirme même que les images produites par les « informateurs » « ne constituent pas des produits scientifiques finalisés (mais simplement des données) » (Pauwels, 2015, p. 102). Nous ne partageons pas cette façon d'opposer des chercheur·ses et des « répondant·es », dont les contributions seraient imperméables les unes aux autres. C’est là reproduire le mythe de l’anthropologue capable de se rendre totalement invisible pour capter les jeux de pouvoir et les significations culturelles d’une société sans jamais y prendre part. Ainsi que l’écrit Shankar (2019, p. 233) dans une métaphore piquante, l’idéal d’objectivité qui consisterait à se transformer en « une mouche sur le mur gribouillant dans un carnet tandis que les participant·es l’éclairent » n’a pour nous rien d’une posture souhaitable.
Que ce soit dans la critique de Nakamura ou dans celle de Pauwels, on voit finalement se dessiner une approche assez normative de l’audiovisuel participatif où le fait d’associer les personnes concernées par la recherche à la production d’images relève d’une injonction dite « éthique » mais n’est pas pensée comme un acte proprement politique susceptible de remettre en question les hiérarchies habituelles qui séparent les chercheur·ses du monde social.
C’est pour s’opposer à cette lecture binaire que nous proposons de parler de démarches partagées plutôt que participatives. Pour résumer, dans bien des cas, les méthodes participatives cherchent d’abord à susciter une « prise d’intérêt » des participant·es dans une démarche proposée par les chercheur·ses et à leur transmettre certains savoir-faire. Notre démarche partagée entend aller plus loin en créant des espaces de production du savoir basés sur l’égalité entre toutes et tous. Le travail d’Esfandyar permet ici d’expliciter ce principe.
Dans le cadre de sa thèse consacrée à l’intersectionnalité des formes de domination, Esfandyar a adopté une démarche participative qu’il qualifie « d’égalitaire ». Son but est réduire au maximum les rapports de domination (engendrés par son identité d’homme cisgenre hétérosexuel) et de force (engendrés par sa position de chercheur). Il ne s’agit donc pas de faire un film sur un thème précis mais de décider, avec ses interlocutrices quelles seront les questions soulevées par le film. À l’inverse de Chloé qui impose à ses interlocuteurs un format particulier (digital story) ou de Lucile qui part d’un cadre conceptuel pré-établi (la multifonctionnalité de l’élevage), Esfandyar aborde donc les participant.es sous une forme complètement ouverte.
« Je voudrais qu’on travaille ensemble : on réfléchit ensemble, on choisit collectivement la place de la caméra et la mise en scène », annonce-t-il ainsi à Shuka qui lui répond aussitôt : « En fait, tu veux m’imposer une corvée pour finir ton projet de thèse et avoir ton doctorat ! Tu prétends militer pour les femmes alors que tu veux les exploiter afin d’accumuler du capital social pour toi. » La réaction de Shuka est une illustration forte de ce que Kiven Strohm (2012) identifie comme le véritable projet de « disruption politique » des démarches participatives.
Pour Strohm, associer les sujets ethnographiques à la production de savoir ne devrait pas simplement répondre à un consensus « éthique » mais bien à un projet « politique » au sens que Rancière donne à ce mot. S’appuyant sur la démonstration faite dans Le Maître ignorant (Rancière, 1987), Strohm place l’enjeu central de « l’anthropologie collaborative » dans la construction d’une base égalitaire de production de savoir. Chez Rancière en effet, la politique naît non pas des règles de la vie en société (c’est ce qu’il appelle la police) mais de la capacité des sans-voix à se faire reconnaître comme partenaires égales et égaux dans le jeu social. La politique est ancrée dans le dissensus, dans la remise en cause de l’ordre établi. Selon cette lecture, un projet audiovisuel partagé ne devrait pas chercher à créer de l’égalité parmi les participant·es (l’égalité comme horizon) mais devrait partir du présupposé que toutes et tous sont égales et égaux (l’égalité comme point de départ).
Alors que la majorité des projets dits « participatifs » ont tendance à se concentrer sur des personnes marginalisées dans l’espoir de contribuer à améliorer leur capacité d’action sociale, Esfandyar s’adressait à un « public » au fort capital politique, capable de mobiliser la théorie bourdieusienne du capital social pour résister à la relation hiérarchique qui accompagne le processus de recherche. Son projet butait ainsi sur son plus grand obstacle : Comment réduire au maximum les rapports de domination et de force entre le chercheur et les cherchées ? Comment, en tant qu’homme cisgenre hétérosexuel, Esfandyar pouvait-il construire une démarche proprement égalitaire, c’est-à-dire basée non pas sur la collecte de données mais sur l'intersubjectivité à travers la construction de récits de vie personnels ? La suite de l’article répond à cette question autour de deux axes : comment d’une part, mettons-nous en œuvre des méthodes qui permettent de faire émerger l’intersubjectivité dans les échanges et dans la production filmique ? Et comment, d’autre part, pouvons-nous tenter de faire de ces produits des facteurs d’émancipation politique au-delà des canons de notre discipline ? Nous proposons ainsi une démarche sensible qui substitue l’intersubjectivité et la capacité à « parler aux côtés de » (Minh-ha, 1991) à la normativité méthodologique et aux idéaux trop vagues d’une « participation » qui vire parfois à la démagogie.
Pour qu’une recherche audiovisuelle puisse être partagée, il nous semble important que toutes les personnes participant au projet puissent réagir à ce qui est en train de se construire et soient en mesure de faire des propositions concrètes. Nous expliquons ici comment nous nous y sommes pris concrètement pour permettre cette mise en partage tout en décrivant les obstacles que nous avons rencontrés. Rappelons toutefois en préambule qu’il ne s’agit pas de défendre une école ou une manière de faire mais bien de dialoguer autour de trois expériences concrètes très contrastées.
Pour Esfandyar, le refus de Shuka de jouer le rôle de force de labeur invisible dans la construction de son doctorat posait un problème technique fondamental : comment pouvait-il construire un film basé sur l’intersubjectivité si les femmes dont il voulait saisir les navigations politiques et identitaires refusaient de s’impliquer dans le processus de production ? Une première réponse survint sous la forme d’une demande faite par Bita, l’une de ses interlocutrices. Alors qu’Esfandyar et Bita avaient convenu d’un rendez-vous pour commencer à construire le film, Bita demanda à inverser les rôles. Elle préférait filmer plutôt qu’être filmée et obligea Esfandyar à se mettre face à la caméra. Au départ, Esfandyar continuait à poser les questions qu’il avait préparées mais Bita finit par reprendre aussi le contrôle sur le déroulé de l’entretien et demanda à Esfandyar de répondre à ses questions à elle. L’extrait vidéo suivant montre deux moments particulièrement forts de cet échange (Vidéo 1). On y voit à la fois la complicité qui lie les deux ami.es mais aussi la difficulté pour Esfandyar à trouver ses mots.
Cet extrait illustre presque mot à mot la définition du savoir connecté proposée par Belenky et al. (1986). Pour ces autrices, l’autorité qui fonde la connaissance ne repose pas sur le pouvoir, le statut ou la certification mais sur l’empathie et un patrimoine d’expériences collectif. Elles définissent ainsi le savoir connecté comme « un mode de savoir qui est ancré dans l'expérience de relations et qui se caractérise par l'empathie, l'égalité, la bienveillance sincère et la suspension du jugement » (Belenky et al., 1986, p. 118). La vidéo 1 montre effectivement une relation caractérisée par l’empathie et une certaine égalité. Techniquement, cette relation d’égalité se reflète dans le cadrage qui correspond à peu de choses près à la largeur et à la profondeur du champ de vision naturel d’une personne debout en conversation avec son interlocuteur. On saisit également une certaine attention bienveillante entre Esfandyar (qui demande un peu de temps) et Bita (qui le lui accorde avec gentillesse). Et surtout, l’hésitation d’Esfandyar traduit son trouble mais aussi sa capacité à « suspendre son jugement » en prenant le temps de s’adapter à une situation inédite sans se précipiter dans une nouvelle mise en scène.
Pour Lucile, la volonté de partager des questions de recherche et de les instruire avec une diversité de parties prenantes a reposé sur un travail en trois temps. Comme l’explique le poster présenté ci-dessous (voir Image 1), il y a tout d’abord eu le temps classique de l’immersion ethnographique dont une partie a été filmée. S’en est alors suivi le travail de montage des matériaux audiovisuels collectés sur la base de l’analyse des discours. Les films produits à l’issue de cette deuxième phase ne devaient pas être des produits finis, mais appeler au contraire à des réactions. Le troisième temps de la recherche consistait en une série de trois projections-débats auxquelles les personnes filmées étaient invitées. C’est dans cette dernière phase que la dimension participative de la démarche prit toute son ampleur. Il ne s’agissait pas simplement de montrer le film aux participant·es mais bien de les faire réagir à ce qu’ils ou elles voyaient afin d’amener de nouvelles discussions susceptibles d’aller au-delà des éléments mis en lumière au cours de la première phase d’enquête. Une version finale a ensuite été éditée après un ultime visionnage accessible sur internet pendant un mois via une plateforme ouverte aux commentaires écrits et aux demandes de modifications (Image 2).
Dans l’expérience de Lucile, ce sont donc d’abord les allers-retours entre temps de montage et visionnages collectifs qui, en s’ajoutant au travail d’immersion ethnographique mené en amont, ont permis de partager les questions de recherche et de les instruire de manière collaborative.
Pour Chloé, la démarche était différente car les jeunes gens impliqués dans le projet ont été amenés à participer dès le premier atelier sans qu’un premier travail d’ethnographie filmée n’ait lieu. Après six mois d’observations et d’entretiens auprès des responsables de différents projets à destination des jeunes du Cap, Chloé a mis en place une série de projets participatifs, parmi lesquels l’atelier de narration audiovisuelle dont il est question ici.
Cet atelier de Digital Story Telling a été imaginé avec les responsables d’une ONG spécialisée dans la démocratisation des nouvelles technologies auprès des habitant·es de quartiers défavorisés du Cap. Liée à l’ONG par une convention, la chercheuse s’engageait à former les jeunes volontaires aux techniques de mise en récit par l’image (initiation à la prise de vue photographique) et le son (techniques d’enregistrement et d’interview). L’atelier, prévu sur une durée de deux mois, devait permettre à chaque participant·e (quatre jeunes hommes et une jeune femme) de produire sa propre Story autobiographique qui viendrait renchérir les productions du programme de recherche, et d'acquérir les compétences pédagogiques pour reproduire le processus au sein de l’ONG.
On retrouve donc dans les démarches de Lucile et de Chloé la superposition des deux objectifs centraux identifiés dans la littérature sur l’audiovisuel participatif. D’une part, il s’agissait d’améliorer la collecte de données en captant les prises de positions des acteurs au-delà des cadres prédéfinis de l’interview8. D’autre part, il s’agissait de permettre un certain empowerment des acteurs et des actrices en les initiant à des techniques audiovisuelles précises. Pourtant, comme le rappelle assez crûment Pauwels (2015, p. 108), « il n’y a rien d’intrinsèquement ou d’automatiquement formateur sur le plan politique à utiliser des images » (p. 108). En quoi nos démarches se sont-elles alors approchées de notre idéal de « partage » ?
Dans les deux cas, les séances de visionnage et/ou d’ateliers ont conduit à discuter concrètement des choix de prises de vue et de montage, et de la façon dont les images représentaient et traduisaient le propos des personnes filmées. Les chercheuses ont ainsi pris conscience de certains attendus narratifs qu’elles avaient intégrés sans s'en rendre compte, tandis que les participant·es ont pu contribuer directement à la construction du produit filmique, tant sur le fond que sur la forme. Ce jeu de reformulation fait écho aux objectifs de méthodologie égalitaire et disruptive décrite par Strohm. Lors de la première séance de projection, les éleveurs9 ont ainsi fait remarquer que le décor du film était presque entièrement constitué de paysages de montagnes. Le montage mettait en exergue les zones d’alpages qui offraient aux yeux de Lucile un cadre grandiose aux scènes filmées. Pour les éleveurs cependant, ce décor omniprésent était problématique (vidéo 2).
Pour les éleveurs, le montage proposé par Lucile réduisait l’élevage pastoral à une activité saisonnière, passant sous silence tout ce qui ne se joue pas directement sur les alpages. De surcroît, il mettait en scène les éleveurs, éleveuses, bergers et bergères dans des espaces dont ils ou elles sont rarement propriétaires et sur lesquels portent des visions et des usages contradictoires, parfois conflictuels. Satisfaire les canons du cinéma conduisait finalement à reproduire certains clichés du pastoralisme et risquait de saper le travail d’analyse qui avait présidé au montage. Les débats qui ont suivi les projections ont ainsi permis d’aiguiser le regard de la chercheuse-réalisatrice. Pour tenir compte des points de vue des participant·es, Lucile a donc dû sacrifier certaines conventions cinématographiques telles que le décor et les personnages. Chercher d’autres moyens de mettre en forme les propos et représentations des participant·es fut un travail tout d’abord inconfortable, obligeant à abandonner des éléments sources de satisfaction esthétique pour tâtonner vers des structures de narration plus expérimentales dont la lisibilité n’était pas garantie a priori.
Suite aux discussions, d’abord à contrecœur puis par égards à la méthodologie choisie, Lucile a finalement choisi de privilégier les extraits les plus riches de sens par rapport aux images les plus réussies techniquement ou esthétiquement. Pour le montage final, des images qui avaient d’abord été écartées pour des raisons techniques (tournées dans un format de moindre qualité, présentant quelques défauts de son ou d’image) ont été rajoutées au film. De surcroît, tandis que les premières versions se structuraient autour de quelques figures charismatiques, une plus large diversité de personnages a été intégrée pour faire entendre une multitude de points de vue. Le montage a évolué vers un film-choral qui restitue la polyphonie propre au territoire concerné mais rompt avec la fluidité narrative attendue d’une narration documentaire classique. À l’image d’un travail de cartographe où la sémiologie prime sur le graphisme et l’élégance de la mise en page, il semblait en effet pertinent que cette production audiovisuelle participative se construise d’abord sur le cadre d’analyse élaboré avec les participants. Ce faisant, ce sont les canons du film géographique qui sont remis en cause (voir notamment Chenet, dans le présent numéro).
Pour Chloé, la question de l’équilibre entre les clichés sociaux intériorisés tant par elle-même que par les participant·es et la volonté de faire surgir des récits personnels plus nuancés s’est posée dès le premier atelier. En comprenant que le projet qui leur était proposé consistait à réaliser des récits autobiographiques, Tyrone et Ashwin ont tout de suite su l’histoire qu’ils souhaitaient raconter. Tyrone, comme de nombreux adolescents de son quartier, a longtemps fait partie d’un gang. Il a donc d’abord écrit une trame typique des parcours d’anciens gangsters racontant sa fascination initiale pour le gang, l’escalade de violence que cette vie impliquait, le choc devant l'assassinat de ses amis et finalement sa rédemption à travers son engagement associatif au sein de l’ONG. Ashwin quant à lui fit part au groupe de sa grande aise par rapport à l’exercice autobiographique car il avait récemment participé à une émission de télévision où il avait raconté publiquement la découverte de son homosexualité. Pour Ashwin, le coming out s’imposait naturellement comme le thème central de sa Story. Chloé fut d’abord décontenancée face à ces deux récits qui semblaient préfabriqués et imperméables aux questions de citoyenneté qui l’occupaient. Le fait de devoir construire un support visuel pour ces trames narratives a pourtant permis de créer des espaces de réinterprétation, autant pour la chercheuse que pour les deux jeunes hommes. Cela a donné lieu à des films bien plus personnels et ambigus que les premiers récits ne le laissaient entrevoir. Arrêtons-nous pour l’instant sur l’histoire de Tyrone (Vidéo 3).
Ayant travaillé auparavant sur les gangs du Cap, Chloé avait une grille de lecture assez précise du phénomène. Pour elle, le passage dans un gang représentait une quête identitaire périlleuse, produite par une marginalisation urbaine extrême et conduisant de nombreux jeunes hommes dans des impasses sociales, où ils se trouvaient soumis aux règles du trafic de drogue et aux guerres d'influence des milieux criminels. Tyrone ne parlait évidemment pas de sa vie de gangster en ces termes. À la deuxième séance, il apporta une série d’images associées à l’imaginaire global des gangs, principalement des clichés d’armes et de tatouages récupérés sur internet. Pour la chercheuse, l’objectif autobiographique était en train de se perdre. Elle insista donc pour que Tyrone se concentre sur la mise en mots de son histoire et l’accompagna pour une séance de prise de vue axée sur la recherche d’images métaphoriques prises dans son quartier (Vidéo 4). Ensemble, ils cherchèrent des solutions de montage permettant d’exprimer symboliquement à la fois la peine et l’angoisse liées au gang et l’espoir et l’enthousiasme liés aux nouveaux projets de Tyrone (Vidéo 5).
La fin du film garde toutefois une trace du rapport littéral de Tyrone aux images puisqu’il a choisi de dédier son film à la mémoire de son grand-père à travers une image libre de droit évoquant son deuil de façon très littérale (« I Love My Grandpa in Heaven »). Dans son ensemble, la Story de Tyrone reflète donc les échanges permanents qui ont eu lieu entre celle qui porte le projet de recherche et celui qui y contribue, chacun ayant fait un pas vers l’autre. Chloé a ainsi accepté que le récit suive la trame linéaire et unidirectionnelle chère à Tyrone (renvoyant les gangs à un passé complètement révolu et projetant un optimisme sans faille sur le futur). Tyrone a accepté que son récit fasse l’impasse sur les clichés du gang et intègre la banalité du quotidien (par exemple le bruit de la balançoire ou le chant des oiseaux qui illustrent la tranquillité d’un parc et contrastent avec l’ostentation des jeunes gangsters dominant les espaces publics10). Il s’agit donc ici non pas, comme pour Lucile, d'un film-choral capable de juxtaposer des discours pluriels, mais d’une co-écriture qui reflète la rencontre entre deux personnes sans que l’audience ne puisse déterminer de qui viennent les idées ou les images.
Nos trois expériences illustrent donc certains des moyens mobilisables pour mettre les méthodes audiovisuelles au service d’une démarche de recherche partagée qui postule l’égalité entre chercheur·ses et participant·es plutôt que la stricte division des rôles de chacun·e. La mise en récit d’expériences sociales concrètes peut ainsi être faite à la fois avec les acteurs et les actrices de ces expériences (démarche participative) et dans le dialogue et l’échange intersubjectif (démarche partagée). Pour nous, il est évident que cette « participation » n’a rien d’immédiat ou de transparent, elle s’apparente plutôt à un enchevêtrement de discussions, de commentaires croisés, voire de négociations entre l'ensemble des personnes impliquées dans la recherche. Nous y reconnaissons une « communauté d'enquête » (Joseph, 2015) sans hiérarchie de savoirs, où les titres académiques ne valent pas plus que les connaissances issues de l'expérience. Le montage devient ainsi à la fois le moyen et la métaphore de la construction de ces savoirs basés sur l’intersubjectivité. Par définition, « monter » requiert de se défaire de l’illusion d’immédiateté de la synchronisation son-image et d’expliciter la fabrication du sens.
Pour nous, jeunes chercheur·ses en sciences sociales, cette réflexivité est riche et bienvenue en soi, mais quelle est son utilité pour celles et ceux qui prennent part à nos travaux ? Les petits interstices que nous ouvrons dans les champs sociaux où nous intervenons peuvent-ils devenir des brèches politiques plus larges permettant de revoir les cadres de construction du savoir en sciences sociales de façon plus générique ?
Fort·es de nos convictions quant à l’importance d’ouvrir la production des savoirs aux idées et aux choix formels de nos interlocutrices et de nos interlocuteurs, nous avons cherché à partager le processus d’écriture filmique. Ces démarches aboutissent à des résultats très différents. L’intersubjectivité est explicitement au cœur du dispositif de tournage d’Esfandyar, alors qu’elle se construit au moment du montage dans le film de Lucile et se cache dans la narration des digital stories faites en Afrique du Sud. Cette variété formelle nous est chère car elle illustre bien le fait que l’intersubjectivité résiste à toute forme de codification esthétique ou méthodique. Elle est produite dans le dialogue entre des personnes réelles, à un temps et dans un espace précis. Cela apparaît de façon brute dans les images d’Esfandyar. Mais même dans les exemples de films plus travaillés, ni Lucile, ni Chloé, ni Tyrone, ni aucune des personnes impliquées dans le projet Grazy ! n’auraient construit leurs propos de la même manière si elles avaient été seules, ni ne feraient les mêmes propositions aujourd’hui si l’on répétait l’expérience.
Dans une épistémologie positiviste, cette difficulté à reproduire la méthode condamnerait nos essais de géographies partagées à n’être que des illustrations, « de simples données » dirait Pauwels (2015, p. 107), mais certainement pas « des contributions scientifiques ». Si l’on se positionne au contraire du point de vue de Shuka, refusant de travailler pour le doctorat d’Esfandyar, nos films ne sont que des produits d’auto-validation institutionnelle, incapables de contribuer au capital social et professionnel de celles et ceux n’appartenant pas au monde universitaire. Au-delà des enjeux techniques de la mise en partage de la production de savoir, il existe donc des contraintes structurelles plus fortes, liées à l’économie politique de la recherche universitaire et à sa relation au monde social.
Malgré ces antagonismes, Esfandyar a continué à explorer de nouveaux dispositifs de tournage pour continuer à secouer les codes de la « participation ». Il a ainsi mis en place un système de double caméra lors d’un entretien avec sa mère, Afsaneh. Il lui a tout d’abord demandé de choisir le lieu de l’entretien (la table du salon familial) et l’emplacement de la caméra. Le cadrage initial est ainsi très classique sur le plan formel : une prise de vue latérale montrant les deux personnages de profil pour un entretien en tête-à-tête. Mais Esfandyar a également proposé à Afsaneh d’utiliser un téléphone portable pour documenter l’entretien depuis son point de vue à elle. Esfandyar a commencé à poser ses questions, qui, fidèles à son approche « connectée », portaient d’abord sur la relation le liant à son interlocutrice. Comme le montre l’extrait vidéo 6, cette dernière s’est d’abord montrée plus intéressée par le dispositif filmique que par le contenu de la discussion. En retournant son téléphone, elle a spontanément créé une mise en abîme spectaculaire de la relation d’entretien.
Là encore, la quête d’une écriture filmique égalitaire se montrait extrêmement riche, en termes de réflexivité pratique sur la manipulation de la caméra, et en termes épistémologiques sur la construction des points de vue. Dans cette scène, la démultiplication des caméras comme autant d’appareils de vision rappelle l’idée de savoirs « situés » formulée par Donna Haraway (2007) à partir d’une réflexion sur les dispositifs technologiques qui permettent aux sciences dites « dures » de produire de nouvelles connaissances scientifiques. Selon Haraway, les microscopes ou les télescopes ne sont finalement que des machines démultipliant les capacités visuelles de tout être humain. En retournant son téléphone, la mère d’Esfandyar se constitue à la fois comme sujet filmant et sujet filmé, tout en étant à l’intérieur d’une scène qui est elle-même filmée. Cette mise en abîme nous interpelle évidemment, même si elle n’était pas pensée comme telle sur le moment. Si l’on ajoute à cette micro-situation, le regard qu’Esfandyar porte sur le geste de sa mère alors qu’il est lui-même filmé ou bien le regard que nous portons maintenant sur cet extrait en le présentant dans cet article, les élaborations théoriques peuvent se poursuivre à l’infini. Nous sommes sans aucun doute face à une métaphore de cette « objectivité féministe encorporée [sic] » défendue par Haraway (2007, p 118) et selon laquelle nos films, dans toute leur spécificité impossible à reproduire, peuvent peut-être aider à « voir fidèlement à partir du point de vue d’un autre », ou, aimerait-on rajouter, à partir de plusieurs points de vue capables d’entrer en dialogue. Dans quelle mesure cette intersubjectivité peut-elle être saisie par celles et ceux qui y contribuent ?
Pour Tyrone, sa participation à l’atelier proposé par Chloé a certainement eu un effet de valorisation personnelle. Il a montré la vidéo à ses amis et ses collègues au sein de l’ONG et a suivi de près la mise en ligne sur le site du programme de recherche. Dans les premiers mois qui ont suivi l’atelier, il est resté en contact avec Chloé et était fier de lui faire part de ses avancées professionnelles. Mais les décalages entre l’économie politique de la recherche universitaire et celle des réalités quotidiennes des personnes susceptibles de participer à de tels projets se sont là encore finalement révélés presque insolubles. Chloé a par exemple tenu à ce que la première présentation officielle des Digital Stories soit faite au Cap lors d’un évènement public de « dissémination » des résultats du projet mais Tyrone n’a pas pu être présent. Elle a ensuite mis près de deux ans avant de revenir au Cap pour parler de ce travail dans une conférence internationale à laquelle elle n’a pas réussi à associer Tyrone (ni aucun·e autre participant·e de l’atelier12).
Les sous-titrages ajoutés à la version qui a été mise en ligne illustrent de façon à la fois anecdotique et symbolique cette difficulté pour la chercheuse de faire durer ses engagements de mise en partage au-delà de la période de terrain13. Sur le principe même, le sous-titrage pose question. Il n’en a été question qu’une fois les ateliers terminés et les vidéos envoyées à la coordinatrice du programme de recherche. Estimant que les différents accents sud-africains rendaient l’anglais incompréhensible, un jeune monteur américain fut sollicité pour réaliser les transcriptions et le sous-titrage de toutes les vidéos réalisées au Cap. Pour Chloé, cela pouvait se justifier dans la mesure où la question de l’usage de l’anglais s’était en effet posée au sein du groupe. Au cours de l’atelier, le collectif s’était entendu pour réaliser les vidéos en anglais, bien que dans ce quartier l’afrikaans soit la langue privilégiée au quotidien14. Le sous-titrage des propos de Tyrone pouvait ainsi servir d’indice pour rappeler l'effort qu’il avait fait en s’exprimant en anglais pour la vidéo. Mais pour respecter la démarche de l’atelier, il aurait fallu faire valider le texte par Tyrone (de fait, la transcription comporte plusieurs erreurs, notamment liées au fait que la personne ayant fait ce travail n’a elle-même pas compris certains mots) et choisir avec lui le style de sous-titrage (police, couleur). On voit ici très concrètement comment les logiques de valorisation de la recherche peuvent en venir à contredire les principes de collaboration qui président à un travail audiovisuel, au point d’en altérer le produit et d’empêcher un véritable partage du statut d’auteur·trice.
D’un point de vue non seulement pratique, mais également symbolique, il y a donc des difficultés réelles à partager les moyens et les bénéfices d’un projet de recherche avec les personnes n’évoluant pas dans le milieu universitaire. Dans le cas d’Esfandyar, le projet de film égalitaire a été abandonné au profit d’une réalisation documentaire plus classique. Pour Chloé, le travail plutôt satisfaisant de co-réalisation sur le terrain n’a pas empêché que la trajectoire des vidéos lui échappe une fois versées à la somme des « livrables » du programme de recherche même si, par contrat, tant Tyrone que l’ONG partenaire conservent le droit d’en faire un usage personnel15.
Lucile apporte un regard différent sur cette question. Selon elle, le film, lorsqu'il est encore en construction et n'apparaît pas tel une œuvre parfaitement achevée, permet justement d’ouvrir un espace de discussion tiers, ou « espace transactionnel » (Piault, 2018) où peuvent survenir des interactions n'ayant pas eu lieu auparavant. Le travail de montage réalisé par étapes en fonction des commentaires apportés par les acteurs et les actrices a consisté à faire résonner des points de vue souvent éloignés si ce n’est radicalement opposés pour nourrir un débat sur l’élevage. Il s’agissait de pointer des opportunités de dialogue inédit et de déplacer la discussion loin des joutes oratoires et de la parole politique vindicative souvent utilisée en réunion.
Lucile a ainsi utilisé deux techniques de montage complémentaires pour susciter la discussion qu’elle souhaitait accompagner auprès des personnes concernées par l’élevage. D’une part, elle a superposé des images et des sons sensiblement décalés. Cela passe par exemple par le fait d’utiliser le témoignage d’un berger décrivant l’actualité de son activité sur les images d’une scène filmée à l’occasion d’une fête de la transhumance où des éleveur·ses défilaient en costumes folkloriques. Dans les rushs originaux, cette scène se déroulait sous les commentaires d’un élu vantant les valeurs de la Provence (voir Vidéo 7).
D’autre part, Lucile a construit, par le montage, des rapprochements entre des discours contradictoires. L’articulation se fait parfois autour d’un mot (vidéo 8), parfois sous forme de dialogue (vidéo 9).
Faire se succéder des extraits d’entretiens avec des éleveurs, éleveuses, bergères et bergers aux trajectoires et profils différents a permis de mettre en évidence différentes perceptions des évolutions du métier, loin des descriptions qui occupent généralement le devant de la scène.
D’une manière générale, la réalisation audiovisuelle oblige à expliciter nos relations avec les personnes auprès desquelles nous enquêtons. Dans les démarches participatives, cette question se pose de manière d’autant plus accrue que l’un des objectifs initiaux de nos projets est précisément de donner aux participant·es les moyens d’intervenir dans les choix de montage, voire de contrôler les propos tenus dans le produit final de la recherche. Selon les personnes et les situations, cet objectif d’empowerment peut être interprété comme une collaboration concrète au moment du montage (projet Grazy !), comme un partage plus général de la prise de parole (projet YouCitizen) ou bien plus radicalement comme une résistance active à la domination du ou de la chercheur·se (projet Personal Responsability). Nos expériences montrent que ces différents objectifs conduisent à des choix méthodologiques différents à la fois en termes de réalisation, de techniques et de choix de montage, mais également, et ce sera là notre dernier point, en termes de dispositifs de diffusion et de mise en débat du produit final.
À l’issue des projections-débats organisées dans le cadre du projet Grazy !, un film d’une trentaine de minutes a été réalisé (vidéo 10). Projeté dans quelques festivals de films documentaires, il est apparu difficile à suivre pour un public de cinéphiles. Loin de raconter une histoire et faisant primer la pluralité de points de vue sur la singularité d’un regard de réalisatrice ou réalisateur, le film brosse un tableau kaléidoscopique des enjeux de l’élevage pastoral. Donnant à voir et à entendre ce qu’une multitude de personnes ont à dire, il ouvre de nombreuses pistes de dialogue et invite les membres du public à quitter leurs fauteuils de spectateurs pour prolonger le débat par-delà l’écran. Il ne s’agit pas simplement d’assister à la restitution d’un travail de recherche collaborative, mais de poursuivre ce dernier par l’intermédiaire du film, en y associant d’autres personnes concernées. Un festival de films n’est peut-être pas le lieu d’un tel débat ; au même titre que les conventions cinématographiques ont dû être révisées pour un montage fidèle à la réalité, il faudrait sans doute envisager d’autres canaux de diffusion. C’est désormais aux personnes ayant participé au projet de se saisir du film pour donner lieu à d’autres discussions.
La question de la mise en débat finale s’est aussi posée de façon très vive à la suite de l’atelier de Digital Story Telling. Après deux mois de rencontres quasi-journalières, Chloé a organisé une première séance de visionnage réservée aux cinq participant.es ayant finalisé leurs vidéos. À cette occasion, une complicité très forte est apparue entre les cinq jeunes qui n’étaient pas amis au départ (à l’exception de Keezin et Tyrone, comme on peut le voir dans leurs films). Un des moments les plus marquants de cette réunion fut l’émotion collective qui entoura la discussion de l’épreuve de deuil relatée par Tyrone. Tous les participants ont souligné son courage mais c’est son amitié inattendue avec Ashwin qui a le plus étonné Chloé. Alors que Tyrone avoua s’être senti initialement mal à l’aise face à l’homosexualité ouverte de son camarade, c’est vers lui qu’il se tourna pour cacher ses larmes. Quelques jours plus tard, les vidéos ont été projetées en public dans les locaux de l’ONG. Une quinzaine de personnes étaient réunies (voir Image 3).
Alors que Chloé espérait que les films soulèveraient une discussion de fond sur les aspirations des jeunes du quartier et les obstacles qui se dressent contre eux, les premières réactions qui ont suivi les films consistaient à féliciter tous les participant.es d’avoir mené à bien leur projet, d’autant plus qu’une partie de l’assistance avait été témoin des longues heures passées à réaliser le montage sur des ordinateurs capricieux. Au milieu de cette ambiance de célébration joyeuse, un jeune homme a toutefois été plus solennel que les autres. Il a demandé à se mettre debout pour prendre la parole et sans un mot, il s’est dirigé vers Ashwin et l’a pris dans ses bras. Plein d’émotion, il l’a remercié d’avoir réalisé un film parlant de l’homosexualité dans un quartier connu pour sa relation presque fétichiste aux gangs et à l’ultra-violence masculine. Pour Chloé, cet instant furtif illustre avec beaucoup de pudeur l’importance qu’il y a à accompagner la réception des films au-delà de leur processus de fabrication. Cette réaction montre que les films peuvent effectivement créer des espaces de disruption politique, qui décentrent le regard de la chercheuse pour s’adresser à la société au sens large.
Tout au long du travail avec Ashwin, Chloé avait douté de la pertinence de ce récit de coming-out qui lui semblait pré-écrit et trop égocentré pour ouvrir sur une réflexion sociopolitique. Tout comme elle avait poussé Tyrone a cherché des illustrations métaphoriques pour sa reconversion hors du gang, elle avait encouragé Ashwin à collecter des images de son quotidien permettant de diversifier le stock initial de photographies qu’il avait constitué à partir des portraits de lui récoltés dans les albums de famille et des innombrables selfies copiés depuis son téléphone. Ce n’est qu’en étant témoin de l’émotion que ce récit souleva auprès de Tyrone d’abord, puis de ce spectateur anonyme, que Chloé réalisa que son objectif avait été atteint. Le récit d’Ashwin n’était pas une confession égocentrée mais un véritable exemple d’affirmation identitaire réussie dans un milieu sociopolitique qui, par bien des aspects, nie aux adolescent.es la capacité de s’inventer hors de la dialectique victime / bourreau.
La digital story d’Ashwin permettait en cela un empowerment individuel de son auteur reconnu pour sa capacité à articuler une expérience vécue par d’autres tout en ouvrant des perspectives plus larges sur les questions d’identité, et plus de citoyenneté, d’une population particulièrement marginalisée, bien que rien de cela ne soit explicitement verbalisé dans le film. Sans entrer ici dans le détail, notons que les cinq stories se font souvent écho, ouvrant des pistes de recherche autour de la place de la religion dans l’affirmation de soi des adolescent·es par exemple, ou de la relation complexe entre des émotions personnelles souvent très négatives et l’optimisme collectif associé à la jeunesse.
Si l’on peut poser l’égalité comme le point de départ de nos démarches audiovisuelles et défendre la production de films donnant à voir la complexité des jeux intersubjectifs, il est finalement bien plus délicat d’affirmer que cette réflexivité politique est partagée par toutes celles et ceux qui prennent part à nos recherches d’une manière ou d’une autre. Nous sommes en mesure de pointer des moments clés de disruption des cadres classiques de la situation d’entretien ou de la narration filmique, nous pouvons identifier des micro-brèches dans les rapports de force établis (par exemple dans le réajustement de certaines injonctions entre gestionnaires d'espaces naturels et bergers ou bergères) ou dans certaines assignations identitaires (par exemple entre deux modèles de masculinités caricaturaux). Ces brefs exemples de « géographies partagées » ne constituent cependant pas un agenda politique systématique pour les méthodes audiovisuelles. Elles ne sont finalement elles-mêmes que des propositions pour poursuivre les débats.
Tout au long de cet article, nous avons défendu une posture épistémologique égalitaire dont l’objectif principal est la production de savoirs situés, intersubjectifs et destinés à être remis en question. L’audiovisuel participatif est souvent présenté comme un travail éthique d’abolition de la hiérarchie qui place les chercheur·ses en surplomb face aux sujets de la recherche. Nos différentes expériences ont nuancé cette définition. Que ce soit auprès de féministes, de collectifs concernés par l’élevage dans les Alpes françaises ou dans les quartiers issus de la ségrégation raciale en Afrique du Sud, nous avons montré que les rapports de pouvoir qui interviennent dans la fabrication d’un film de recherche sont bien plus diffus et multiformes qu’une simple binarité opposant les chercheur·ses universitaires à « leurs » « répondant·es ».
Les expériences de tournage d’Esfandyar, les essais de co-écriture de Chloé et le montage d’un film-choral par Lucile illustrent comment nous avons tenté de réinventer ces relations complexes et mouvantes à différentes étapes de la fabrication d’un film. Elles montrent aussi à quel point certains processus résistent à nos tentatives de déconstruction et continuent à nous échapper, comme le jeu de miroir infini créé de façon inattendue par Afsaneh lors de l’entretien avec son fils. Nos démarches mettent finalement en lumière la nécessité de reconnaître les tensions et les résistances qui caractérisent le travail de l’intersubjectivité. Les rapports de pouvoir et les hiérarchies plus ou moins implicites dépassent largement le seul espace du protocole de recherche. Nous espérons que nos films aident à les reconnaître et suggèrent des pistes d’écriture permettant de réinjecter de l’égalité dans la construction des savoirs. Confier la caméra aux personnes impliquées dans l’enquête, les associer aux choix des images et des sons au moment du montage, prendre le temps de réfléchir avec elles aux processus narratifs que nous utilisons sont autant de procédés qui permettent de mettre en pratique le principe d’espace de recherche « transactionnel » comme suggéré par Piault (2018). Peut être plus important encore, rendre les films issus de ces travaux accessibles au public permet de prolonger la « transaction » au-delà de la temporalité des projets de recherche et d’élargir la somme des subjectivités engagées dans le processus.
Un dernier point mérite toutefois d’être souligné. Si nous sommes tous les trois de « jeunes chercheur·ses », nos statuts institutionnels sont fort différents et cela est souvent réapparu dans nos discussions. Il est évident que nos positions respectives dans l’économie politique de la recherche universitaire française influencent directement notre marge de manœuvre dans la prise de risque méthodologique. Être doctorant, jeune docteure travaillant à son compte ou chercheuse statutaire implique trois navigations socio-politiques différentes dans nos terrains d’enquête et trois rapports différents à l’attente de « scientificité » qui pèse sur les réalisations filmiques en règle générale. Pour Esfandyar, construire un film égalitaire s’est avéré impossible. En tant que doctorant, il n’est reconnu ni comme chercheur ni comme réalisateur, ce qui rend évidemment le financement plus difficile. Sa démarche égalitaire revendiquant un processus d’écriture dont il ne peut garantir l’issue l’empêche de positionner son projet dans une case qui permettrait un soutien institutionnel. Les films portés par Chloé se sont confrontés à des obstacles structurels du même ordre lorsque le programme de recherche ayant permis leur réalisation a eu besoin de les diffuser sur sa propre plateforme. Lucile quant à elle est passée par la création d’un modèle d’auto-entreprenariat pour pouvoir mettre en pratique ses convictions scientifiques. Il s'agit d'une situation précaire et d'un modèle économique fragile qui ne garantissent aucune pérennité à ses travaux.
Pour chacun.e de nous, ces géographies audiovisuelles partagées sont avant tout des expérimentations destinées à être affinées, des actes de résistance à approfondir. Nos films sont des étapes de dialogue, des propositions nécessairement fragmentaires qui s’inscrivent dans un archipel d’initiatives filmiques plus large et qui permettent d’occuper pour quelques mois ou quelques secondes les interstices d’une production universitaire de plus en plus préoccupée par la quantité et la réplicabilité algorithmique.
1 Nous faisons ici notamment référence aux critères d’éligibilité et d’évaluation fondés sur « l’impact sociétal » et / ou la « conformité éthique » utilisés par de nombreux bailleurs tant publics que privés (Fondation de France, Union Européenne H2020, Ademe…).
2 Projet YouCitizen, financé par l’ERC (Advanced Grant n° 295392, 2011-2016), www.youcitizen.org.
3 « a narrative that conveys what respondents want to communicate in the manner they wish to communicate », cette traduction, comme toutes celles qui suivront sont proposées par les auteurs.
4 Les travaux discutés dans cet article ont été en partie financés par la Fondation Agropolis dans le cadre de l'AAP Open science 2017 (projet 1605-059 "Grazy !") ainsi que par le Conseil Européen de la Recherche dans le cadre de l'AAP ERC Advanced Grant (projet 295392 "YouCitizen").
5 Au cours de l’année 2016, plusieurs films sur l’élevage pastoral ont été réalisés dans le cadre de l’Action-network 2 du Global Agenda for Sustainable Livestock (GASL). Ils ont notamment été présentés lors d’un side event de l’International Rangeland Congress qui s’est tenu à Saskatoon en juillet 2016 (Garçon et al., 2016).
6 Outre l’auteure, le collectif de chercheur·ses impliqué·es dans le projet était constitué de François Bousquet, Bernard Hubert, Alexandre Ickowicz, Jacques Lasseur, Pascale Maïzi et Jean-Pierre Müller.
7 Le décalage immense que l’on observe entre une littérature anglophone qui foisonne autour de cette question, et la rareté des textes en français montre d’ailleurs combien les différences entre les économies politiques universitaires influencent les priorités thématiques des publications. Comme nous le développons dans la suite de l’article, nos positionnements en trois lieux différents de l’écosystème de la recherche universitaire française (un doctorant, une post-doctorante sans poste et une statutaire de la recherche publique) sont un élément important pour l’analyse des opportunités et des obstacles en terme de développement de démarches participatives.
8 Dans le cadre du projet YouCitizen, plusieurs articles ont été publiés sur la base du matériau collecté lors des ateliers, voir Jeffrey et al. (2017), Buire et Staeheli (2017) ou Marshall et al. (2017).
9 Pas d’écriture inclusive ici : aucune femme n’est venue à cette première séance. Les éleveurs eux-mêmes l’ont remarqué et ont insisté pour qu’il y ait des femmes à la suivante.
10 Sur les liens des jeunes hommes à leurs « territoires » dans les quartiers populaires des Cape Flats, voir Jensen, 2012.
11 « Il n’y a pas de photographie non médiatisée ou de chambre noire passive dans les descriptions scientifiques des corps et des machines ; il n’y a que des possibilités visuelles extrêmement spécifiées, chacune avec sa manière merveilleusement détaillée, active, partielle, d’organiser des mondes. Toutes ces images du monde ne devraient pas être des allégories d’une mobilité et d’une interchangeabilité infinies, mais d’une spécificité et d’une différence élaborées, et du grand soin dont on doit s’armer pour apprendre à voir fidèlement à partir du point de vue d’un autre, même quand cet autre est l’une de nos machines.[…]Comprendre comment ces systèmes visuels fonctionnent, techniquement, socialement et psychiquement devrait pouvoir ouvrir la voie à une objectivité féministe encorporée. » (Haraway, 2007, p. 118)
12 Les obstacles étaient à la fois pratiques (difficulté d’accès à l’université, contraintes horaires) et symboliques (exercice de la présentation académique en 15 minutes, contenu de la discussion au sein du panel). Ils auraient toutefois été surmontables si Chloé avait mieux anticipé la conférence et fait de la présence de Tyrone une priorité.
13 Le film est disponible en ligne avec l’ensemble des productions audiovisuelles du projet YouCitizen au lien suivant : http://www.youcitizen.org/videos
14 Pour deux des participants en particulier (Taryn et Ashwin), il s’agissait d’une question identitaire forte qui est d’ailleurs directement évoquée dans leurs vidéos.
15 On peut citer à ce titre l'exemple du film « RV United », également co-réalisé par Chloé en Afrique du Sud lors de ce programme de recherche. Élaboré avec les membres d’une équipe de football féminin, ce film qui retrace leur travail quotidien jusqu’à leur victoire lors de la Coupe Coca-Cola disputée au Cap en novembre 2015 a été utilisé par les jeunes femmes pour lever des fonds pour leur club à plusieurs reprises.
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