Monika Salzbrunn, Professeure ordinaire de Religions, Migration, Diasporas, Université de Lausanne, ERC ARTIVISM, ISSR
À partir de deux terrains d’enquête où des méthodes visuelles ont été appliquées, l’article se propose de réfléchir à la co-création de représentations sur la migration par la mode mise en images. À Paris et Gênes, nous avons suivi l’organisation de défilés de mode dans des quartiers populaires avec une très riche histoire de migration : Sainte-Marthe et la Maddalena. Ces terrains ont montré comment des acteurs valorisent leurs parcours migratoires respectifs, à la fois dans leur discours devant la caméra et de façon symbolique, en ayant recours à des tissus, coupes et maquillages renvoyant à des appartenances multiples. L’emploi de méthodes visuelles a ouvert l’analyse sur la façon dont le langage du corps reflète un processus d’empowerment dans la mise en scène de soi pendant la phase préparatoire et au moment du défilé de mode. Il a aussi mis en lumière les nuances dans la mise en scène de soi, de son corps et de sa trajectoire. Notre analyse porte par conséquent sur deux niveaux : celui de l’auto-représentation par les acteurs devant la caméra et celui de l’utilisation de la caméra comme outil de recherche et de communication sur le terrain.
Mots-clés : Anthropologie visuelle, Artivisme, Performance, Migration, Mode
Starting from two field sites where visual methods have been applied, the article offers a reflection on the co-creation of representations on migration by images of fashion. In Paris and Genoa, we followed the organization of fashion shows in popular neighborhoods with a rich history of migration: Sainte-Marthe and Maddalena. These sites showed how actors value their respective migratory journeys, both in their speech to the camera and in a symbolic way, by using fabrics, cuts and make-ups that refer to multiple affiliations. The use of visual methods has opened up the analysis of how body language reflects an empowerment process in self-presentation during the preparatory phase and during the fashion show. It also highlighted the nuances in the staging of oneself, one’s body and one’s trajectory. Our analysis therefore focuses on two levels: that of self-representation by the actors in front of the camera and that of the use of the camera as a tool for research and communication in the field.
Keywords : Visual anthropology, Artivism, Performance, Migration, Fashion
Quand je suis arrivée à Gênes à la rentrée 2017 afin d’y mener un terrain d’enquête de longue durée sur l’art et l’activisme, j’étais frappée par les titres de presse locale très négatifs sur la population sénégalaise, assimilée à une « mafia » inondant les ruelles de la vieille ville de « crack3 ». Ayant travaillé depuis une vingtaine d’années sur les réseaux politico-religieux de Sénégalais et leurs ancrages translocaux au Sénégal, en Europe et aux États-Unis, j’ai noté une couverture médiatique particulièrement négative, qui tranche notamment avec l’excellente image dont bénéficient les Sénégalais à New York (Salzbrunn, 2004 et 2016) ou celles qu’ils contribuent à élaborer d’eux-mêmes en se mettant en scène publiquement à Genève (Salzbrunn, 2017). D’emblée, j’étais ainsi amenée à repenser les logiques locales, régionales et nationales des représentations créées par les personnes. Par ailleurs, les stigmatisations observées concernaient non seulement des groupes de personnes, mais aussi un quartier entier, le centro storico, un des plus grands centres historiques encore conservés en Europe, et plus particulièrement la partie appelée la Maddalena. Ayant initialement choisi la ville de Gênes comme un des terrains à couvrir dans le cadre de mon projet ERC ARTIVISM4, la découverte des différentes représentations qui circulaient sur la Maddalena, un quartier qui incarne toute la diversité des résidents de Gênes, jetait ainsi un pont entre le projet actuel et un autre mené à Paris5, avec la représentation de soi et d’autrui à travers les médias comme question commune. Il s’agissait alors de comprendre comment les résidents de ces quartiers géraient et retournaient le stigmate, à savoir le fait d’être perçu comme quelqu’un à part, selon la définition d’Erving Goffman (1975). Pour ce faire, l’approche comparative (Authier et al., 2019) a été choisie dans l’optique de décentrer le regard sur chaque terrain : un regard initialement posé à partir de questionnements différents (l’invention d’événements festifs afin de lutter pour la sauvegarde du quartier à Paris et le recours à l’art performatif pour valoriser la couture, l’économie circulaire et la diversité des habitant.e.s à Gênes), mais révélant des réponses à la question de la représentation de soi.
Dans la partie empirique du présent article, qui porte sur deux terrains d’enquête où j’ai appliqué des méthodes visuelles, je mène une réflexion sur la co-création de représentations sur la migration par la mode mise en images. Dans les villes « super-diverses » (Vertovec, 2007) de Paris et de Gênes, marquées par une diversité de statuts social, économique, juridique, et des pays d’origine des résidents5, j’ai suivi l’organisation de défilés de mode dans des quartiers populaires avec une très riche histoire de migrations. L’emploi de méthodes visuelles a permis d’analyser comment le langage du corps reflète un processus d’empowerment pendant la mise en scène de soi dans la phase préparatoire et au moment du défilé de mode. À Paris, dans le quartier de Sainte-Marthe, le créateur sénégalais Sadio Bee a lancé sa collection « Mix-Tissages » en ayant recours à la fois à des mannequins professionnels, mais aussi aux voisins, originaires de pays variés. Dans le quartier de la Maddalena à Gênes, un groupe de tailleur.e.s ivoirien.ne.s, sénégalais.e.s et ligurien.ne.s, en collaboration avec des tenant.e.s de magasins vintage, a organisé trois défilés de mode afin de renverser le stigmate de délinquance qui pèse sur ce quartier et sur certain.e.s résident.e.s, notamment celles et ceux originaires d’Afrique subsaharienne. Contrairement à ces dernier.e.s, les résident.e.s d’origine latino-américaine (dont les Équatorien.ne.s sont de loin le groupe le plus grand) font l’objet d’une représentation plus positive et bénéficient même d’une page dédiée en espagnol dans le quotidien Il Secolo XIX.
Avant d’entrer en profondeur dans ces deux exemples empiriques, je vais revenir sur les aspects épistémologiques et méthodologiques du travail filmique en sciences sociales. Dans le cadre du projet ERC ARTIVISM, nous avons suivi comment les acteurs valorisent leurs parcours migratoires respectifs, à la fois dans le discours devant la caméra et de façon symbolique, en ayant recours à des tissus, coupes, maquillages renvoyant à des appartenances multiples (Yuval-Davis et al., 2006). Chaque acteur.e donne un sens particulier (Deleuze, 1969) à sa performance (Butler, 1993) dans un certain contexte (Rogers et Vertovec, 1995) et dans une situation sociale donnée (Clarke, 2005). Le travail filmique avant et pendant l’événement, effectué en concertation avec les acteurs et actrices, permet de capter un maximum de nuances dans la mise en scène de soi, de son corps et de sa trajectoire.
Nous verrons plus loin à quel point la posture fière, valorisante, en quête de reconnaissance, tranche avec les images diffusées par les médias locaux génois (journal Il Secolo XIX) et certains medias et discours italiens sur la migration, notamment en provenance du Sénégal.
Des articles d’une telle tonalité, dressant un lien entre ressortissants sénégalais et vente de drogues, ont paru depuis quelques années dans la presse italienne, notamment par le biais d’agences de presse7. Tout récemment seulement et dans une autre localité, les difficultés des nombreux vendeurs ambulants sénégalais, souffrant des restrictions de circulation dues au coronavirus, ont fait l’objet d’un article plus bienveillant8.
La mise en image est donc un acte de résistance créatif en réponse à ces représentations homogénéisantes et dévalorisantes. Notre analyse se situe par conséquent à deux niveaux : celui de l’auto-représentation par les acteurs devant la caméra et celui de l’utilisation de la caméra comme outil de recherche et de communication sur le terrain.
Qu’est-ce que la caméra permet de voir, de faire voir, au-delà du texte ? En quoi la caméra modifie-t-elle la façon de se raconter, se montrer, se mettre en scène devant autrui ? Quand on compare la relation que les chercheur.e.s décrivent avec leur outil, aux débuts de l’anthropologie réflexive, avec des manifestes contemporains9, on prend la mesure d’une panoplie très large de points de vue divergents. Suivant le second point du manifeste élaboré par Alain Bouldoires et Fabien Reix (2017), fondateurs de la présente revue, nous allons revenir brièvement sur « l’histoire des méthodes visuelles », afin d’inscrire notre point de vue dans le développement du champ.
Dans le fameux article « The Camera and Man », l’ethnographe Jean Rouch (1974, p. 38), organisateur du Bilan du film ethnographique au musée de l’Homme, revient sur un siècle de films sur « l’Homme ». Selon lui, Robert Flaherty10 et Dziga Vertov auraient été les premiers à développer le cinéma ethnographique, sans en être parfaitement conscients à l’époque. Flaherty a notamment introduit la technique du feedback, en projetant ses montages sur place, permettant ainsi de partager en direct la manière dont la/le directrice/teur du film voit les personnes filmées. Selon Rouch, à partir de ce moment, l’anthropologie ne peut que se dérouler dans l’optique du partage, car les anthropologues sont également constamment observé.e.s dans leur travail par les filmé.e.s. Le film devient ainsi un objet de discussion, comme dans le travail de photo ou de vidéo elicitation, un déclencheur de discussions, un révélateur des relations entre filmeur.e.s et filmé.e.s, un miroir de la mise en scène de soi devant autrui. Nous ponctuons toujours les sessions de montage de rencontres avec les filmé.e.s afin de tenir compte de leur feedback dans le processus de production du film. Ainsi, nous organisons sur chaque terrain des séances de projection des versions work in progress de nos films, si possible dans les lieux où les images ont été prises. Nous enregistrons les réactions durant le visionnage et les discussions après la projection : à Gênes, à Viareggio, à Lausanne, à Paris et, avec un public élargi, au festival MBOA BD de Douala et de Yaoundé, puis à Marseille, Nice, Los Angeles... Cette pratique réflexive de récolte de feedback et de restitution fait aussi l’objet de mes enseignements et des conférences de mon équipe11.
Par ailleurs, le film permet de noter ce qu’on n’aurait pas le temps de dessiner ou d’écrire si vite, si on avait opté pour d’autres méthodes de recherches. Le film permet de rendre visible les sens (Pink, 2011) et les émotions à travers la combinaison de sons et d’images : il permet de « rendre compte différemment des émotions, de la subjectivité, de l’intime, des troubles et des joies des individus et des populations » (Sebag et al., 2018, p. 9).
Contrairement à ce que le développement d’outils techniques, beaucoup plus légers qu’il y a un siècle et faciles à transporter et mettre en place, laisse présager, le travail avec la caméra nécessite un temps long12. Malgré la lourdeur du matériel à l’époque où il a tourné la majorité de ses films (années 1950-1980), Jean Rouch tenait à incarner à la fois le rôle de directeur du film et du cameraman, arguant que seul le chercheur était capable de diriger la caméra. Je reviens plus loin sur les situations dans lesquelles je partage ce point de vue, mais aussi sur d’autres, qui nécessitaient un dispositif différent. Par ailleurs, non seulement il n’était pas possible de financer la présence d’une équipe à long terme sur le terrain, mais il fallait également limiter l’effet disruptif de la présence de chercheur.e.s étrangèr.e.s sur un terrain (Rouch, 1974, p. 40). Jean Rouch, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, prenant lui-même l’exemple du risque de rejet que « deux blancs dans un village africain » encourent, est bien entendu la voix d’une époque où une partie de l’anthropologie cherchait à explorer des terrains lointains et reculés. Néanmoins, la question de la perturbation des relations due à l’apparition des outils techniques et des personnes qui les manipulent mérite d’être posée, car toute présence d’autrui sur un terrain a un impact sur la manière dont les mises en scène de soi se déroulent, comme Howard Becker (1963) ou Erving Goffman (1959) l’ont largement démontré. Pour cette raison, j’occupe sur certains terrains (ici : Sainte-Marthe) le double rôle de réalisatrice et camerawoman. Sur d’autres (ici : la Maddalena), je travaille la plupart du temps avec un ou deux collègues qui tiennent chacun.e une caméra (ou l’équipement son), notamment afin de filmer différents aspects d’un même événement (ici : le défilé en lui-même et les scènes de préparation de l’autre côté de la scène). Enfin, si nécessaire, il arrive aussi que je délègue la prise de vue et de son à mes collaborateur/trice afin que je puisse me concentrer sur les aspects relationnels. Certains standards techniques actuels exigent une prise de son séparé, par exemple avec une perche, ce qui nécessite donc la présence de deux personnes en plus de celle qui prépare et mène l’interview. En revanche, il m’arrive aussi de me retrouver par hasard seule, au gré d’une flânerie, dans le quartier dans lequel je vis et mène des recherches, dans une situation, un événement imprévu, qui mérite d’être filmé. Afin d’être préparée à ce cas de figure, j’ai acquis un téléphone portable particulièrement performant au niveau de l’optique, et qui permet de filmer avec un effet d’intrusion limité. Je combine donc les deux approches : des séances de prise de vue organisées à l’avance, seule ou avec deux à trois personnes pour assurer un travail technique optimal, et des prises de vue spontanées, au gré des événements imprévisibles pour être préparée aux moments disruptifs, et même durant les événements planifiés, pour varier les angles et les approches.
Car, si nous sommes conscientes de l’impact de notre présence sur le terrain, pouvons-nous vraiment anticiper ce qui se déroule, planifier le tournage, savoir à l’avance ce que nous allons filmer ? Un courant en sociologie visuelle part du point de vue suivant :
Penser par l’image, c’est considérer que toutes les actions, toutes les opérations, tous les choix dans la prise de vue doivent avoir un sens, doivent faire émerger du sens qui exprime ou qui contribue à exprimer ce que le sociologue-cinéaste souhaite exprimer… [Le] tournage n’est pas un simple enregistrement ou une simple « captation » des événements ou d’un entretien, mais [il] doit être réfléchi et conçu auparavant. Même si les conditions du tournage diffèrent quelque peu des prévisions, la préparation anticipatrice de celui-ci permet les réactions rapides du filmeur pour maîtriser la nouvelle situation
(Sebag et al., 2018, p. 18)
Cette perspective diffère quelque peu de l’approche anthropologique de Jean Rouch, qui, afin de pouvoir réagir vite à l’imprévu (qui caractérise la plupart des situations selon notre expérience) plaide pour la caméra à la main à la place de l’usage du trépied13. Il est évidemment difficile de prendre une position universelle sur l’utilisation du trépied ou encore sur la question de la rédaction d’un plan de tournage a priori, car, non seulement les thématiques et approches suivies peuvent changer au cours d’une carrière, mais encore parce que la variété des situations à laquelle l’ethnographe est confronté.e pendant un projet nécessite une grande capacité d’adaptation. Même si un événement est planifié, il comporte toujours un aspect imprévu, imprévisible, potentiellement disruptif (Amiotte-Suchet et Salzbrunn, 2019). Pour cette raison, j’établis seulement des plans de tournage minimaux et rédige le scénario au fur et à mesure des prises de vue, des visionnages, des séances de feedback et du montage.
Dans le cadre des deux projets de recherche traités dans ce texte, j’ai filmé des événements et des situations de préparation de ces derniers ainsi que des réflexions générales portant sur le contexte et la trajectoire biographique des actrices et acteurs. Par ailleurs, dans les deux cas, les défilés de mode ne figuraient nulle part dans mes projets de recherche pour la simple raison qu’ils ont été inventés après le début du projet. En revanche, ce qui m’intéressait dans le projet ARTIVISM, dans le sillage de Richard Schechner (2013, p. 127), est la performativité, « la capacité humaine à se comporter réflexivement, ludiquement », en utilisant l’art comme moyen d’expression politique. Il est donc nécessaire de rester ouvert.e à l’imprévu, aux surprises, à l’instinct et aux émotions qui guident aussi notre travail.
Elena Barabentseva et Andy Lawrence abordent la question de l’écriture (2015, p. 9), rappelant ce que Richard Werbner (2011, p. 212) a suggéré : « [...] when filmmaking is undertaken before the writing then the continuous re-engagement with sensorous moments of fieldwork helps to develop a more evocative and situated written analysis ». Peut-on pousser cette articulation entre prise de vue et écriture encore plus loin, laissant les événements sur le terrain parler, jusqu’au point où l’écriture suit ces derniers ? Ou encore, écrire seulement au moment du montage ? Dans notre dernier ouvrage (Amiotte-Suchet et Salzbrunn, 2019), nous faisons le point sur les différentes manières de traiter « l’événement (im)prévisible », suivant ma proposition antérieure de centrer une recherche sur un événement qui se déroule dans un espace (urbain) plutôt que de partir d’un groupe (pré-)défini par la/le chercheur.e (Salzbrunn, 2015 et 2017). Cette approche qui prend l’événement, organisé et/ou disruptif, comme point de départ, permet d’observer les manières dont les actrices et acteurs mettent en scène leurs appartenances multiples, parmi lesquelles l’origine peut jouer un rôle. Il faut tout de suite noter que la nationalité, la religion ou le passé migratoire n’entrent pas forcément en jeu dans la situation sociale observée. Nous verrons plus loin que la migration n’est pas toujours thématisée en tant que telle. Les personnes filmées mettent plus spontanément l’accent sur leur appartenance au quartier de résidence. La recherche se concentre donc sur l’engagement politique et l’expression des appartenances locales ainsi que sur l’événement fédérateur, en cours de préparation. Ceci ne m’empêche pas de prendre note de la manière dont d’autres appartenances sont mises en scène (à travers les maquillages, les tissus, le langage du corps, etc.).
En me laissant guider par la dynamique interne de l’évènement et les discours des personnes concernées, je n’ai donc pas centré mes prises de vue et mes questions autour de l’origine nationale. En se concentrant sur « ce qui se joue » (Lallier, 2018 ; voir infra) sans cet a priori, nous avons pu brosser un tableau bien plus large sur ce que la migration mise en image signifie – notamment un attachement fort à une localité dans laquelle on fait « communauté » (Sainsaulieu et al., 2010). Comme nous le verrons plus loin, les appartenances multiples, notamment l’origine sénégalaise de certains couturiers, peuvent être mentionnées, mais toujours en lien avec le quartier, le métier et l’événement qui valorisent à la fois le lieu de résidence et/ou de travail ainsi que la mode, expression d’une grande diversité culturelle et sociale.
Dans son article « La pratique de l’anthropologie filmée », Christian Lallier (2018, p. 27) revient sur la manière dont un film rend compte « de ce qui se joue » dans une situation filmique, caractérisée par « l’intérêt partagé » pour le filmant et les filmés, « pour la situation sociale qui fait l’objet de l’observation filmée ». Selon lui, la « situation filmante constitue la circonstance d’engagement par laquelle les personnes filmées se représentent dans une situation sociale et pour laquelle également l’observateur-filmant manifeste tout son intérêt au regard de la valeur des personnes engagées dans cette même situation sociale ». Il insiste sur ce point : « [...] le filmant fait valoir sa présence par l’attention qu’il porte à l’autre ». J’ai porté mon attention à l’événement – le défilé de mode – ainsi qu’aux actrices et acteurs impliqué.e.s dans la préparation de ce dernier, afin de comprendre ce qui se joue à ce moment-là : en premier lieu la valorisation de la diversité des origines des résident.e.s et du passé et présent ouvrier, artisanal et créatif du quartier, et en second lieu la critique du consumérisme capitaliste, mise en avant à Gênes (que je ne peux pas développer ici).
Dans le cas de mes prises de vue à Sainte-Marthe en France et à la Maddalena en Italie, mon attention portée aux créations artistiques produites ou co-produites par les résident.e.s d’origine étrangère a eu une influence considérable sur leurs mises en scène de soi devant ma caméra et celle de mes collaborateur/trice. Bien que la vie quotidienne se déroule de façon paisible dans ces deux quartiers fonctionnant comme des micro-espaces de solidarité, l’ambiance générale vis-à-vis de certaines catégories de personnes, véhiculée à travers une partie conséquente des médias, a un impact négatif sur l’estime de soi des personnes rencontrées. Elles faisaient toutes une différence claire entre l’entraide, la solidarité et le sentiment de vivre dans un village urbain dans la vie quotidienne et le sentiment de souffrir de stéréotypes négatifs et dévalorisants, voire criminalisants, en dehors de ce microcosme. La seconde partie de cet article entre davantage dans les détails sur ces représentations de soi et d’autrui, sur deux terrains ethnographiques à Paris et à Gênes.
J’ai eu l’idée de travailler sur le quartier parisien de Sainte-Marthe à partir du moment où, étant en train de rédiger ma thèse sur un tout autre sujet, j’entendais de la musique live depuis mon balcon, à la fin des années 1990. En descendant dans la rue, j’ai vite compris que cette musique était destinée à représenter les migrations et la diversité des habitant.e.s du quartier, en images et en sons, et s’inscrivait dans une lutte pour la sauvegarde humaine et matérielle du quartier, menacé de destruction. Dans les années 1980 et 1990, plusieurs quartiers de l’ancien village de Belleville situés aujourd’hui dans les 19e et 20e arrondissements de Paris, avaient été en grande partie détruits au profit de la construction de logements (sociaux, intermédiaires et propriété par étages) à six étages (et plus). L’argument de l’insalubrité était récurrent pour justifier ces destructions, en plus du stigmate de la (petite) criminalité qui pesait sur ces quartiers socialement défavorisés. Au début des années 1990, la vague des destructions s’étendait jusque dans le nord du 10e arrondissement (donc la partie sud de Belleville), notamment vers la rue du Chalet, perpendiculaire à l’angle de la rue Sainte-Marthe (voir les cartes, images 3 et 4). La menace de destruction était donc palpable dans cette sous-partie de Belleville au bâti pittoresque mais fragile qui s’appelle Sainte-Marthe (-Saint-Louis, du nom de l’hôpital construit au XVIe siècle en dehors de la ville)14.
Je reproduis ici des notes de terrain et une analyse conduite auparavant15, avant de passer aux prises d’images et à l’entretien mené avec le créateur de mode sénégalais Sadio Bee, réalisés quelques années plus tard dans ce même quartier. À Sainte-Marthe, j’ai effectué toutes les prises d’image et de son seule, ayant été durant une douzaine d’années à la fois chercheuse et résidente.
Un dimanche d’avril 2010 dans le nord-est parisien : de loin, on entend une guitare et un djembé qui accompagnent une chanteuse malienne. Plus près, on entend le rire des enfants qui participent à l’atelier de peinture mis en place sur la place Sainte-Marthe, dans le 10e arrondissement, près du métro Belleville. Dans un angle de cette place pittoresque, qui ressemble à un centre de village de province, des fleurs en pot attendent d’être achetées par des voisins désireux d’embellir leurs balcons et d’égayer le quartier. À côté des fleurs, un large stand, tenu par l’association Les Quatre Horizons, propose aux visiteurs des pâtisseries orientales, du taboulé, des crêpes et du thé à la menthe. Dans une rue voisine, la rue du Chalet, un local industriel rénové accueille la collection d’été du créateur sénégalais Sadio Bee. Ce dernier présentera ses dernières créations lors d’un défilé sur la place. À l’un des angles de la place, aux murs du bâtiment de la mission évangélique qui accueille les sans-abris, sont collées les peintures des enfants : une image représente une jeune fille en robe jaune qui salue le visiteur, à son côté se trouve une élégante silhouette de femme adulte qui s’adonne au même geste – à un détail près, cette dernière porte le Niqab, le voile intégral. Un dessin voisin montre des traits liés représentant une racine – l’enfant a ajouté la légende « nous sommes tous issus d’une même racine ». C’est la fête du printemps à Sainte-Marthe, organisée par la présidente de l’association Les Quatre Horizons, en collaboration avec un programmateur de théâtre, une productrice de musique et une artiste.
L’association Les Quatre Horizons, comme son nom l’indique, présente tout un programme, éminemment politique, car luttant non seulement pour la sauvegarde du patrimoine architectural mais aussi pour le maintien de la diversité sociale et culturelle : son logo est composé d’une image de la planète Terre autour de laquelle quatre enfants se tiennent la main : l’un des enfants a les yeux bridés, l’autre porte une casquette et a la peau foncée, le troisième, de peau marron foncé, porte une longue queue-de-cheval et le quatrième a une peau plus claire. Cette image est en fait une mise en valeur des origines des habitants. Les manifestations festives organisées par Les Quatre Horizons suivent cette logique de représentation de l’altérité à travers les styles de musique sélectionnés, les plats et pâtisseries vendus ainsi que les éléments de décor (notamment les tissus) choisis pour agrémenter les stands. Cette mise en scène de la diversité et de la différence mène à des essentialisations ainsi qu’à des hybridations de la part de divers acteurs. Ainsi, la présidente, d’origine algérienne, a subi des remarques excluantes comme « On n’est pas en Algérie ici » après avoir proposé un menu composé de couscous méchoui, de taboulé, etc. (Salzbrunn 2011b) – alors que le couscous est désormais le plat le plus répandu en France. Je reviens plus loin sur le tailleur Sadio Bee qui fait de l’hybridation sa marque de fabrique, « MixTissage », en combinant des tissus de différentes provenances.
À ceci s’ajoute le contenu des messages musicaux qui fait partiellement référence aux débats contemporains sur l’époque coloniale ou à l’esclavage. Ces éléments politiques contenus dans la performance musicale s’expriment également par le choix des instruments : le groupe caraïbéen « Alonzidon » a utilisé à plusieurs reprises au cours des fêtes sur la place Sainte-Marthe des moules qui servaient à transmettre des messages cryptés à l’époque coloniale. Pendant la performance, le leader du groupe a expliqué le principe d’envoyer des informations subversives, illisibles pour le colonisateur.
Le défilé du créateur sénégalais Sadio Bee qui a son atelier dans la rue Sainte Marthe, fait partie intégrante d’une des nombreuses fêtes organisées au cours de l’année (fête du Printemps, fête de la Musique le 21 juin, couscous géant en juillet, fête de la Rentrée en septembre, nuit du Conte en hiver, etc.). Comme le nom de sa collection « Mix-Tissage » l’indique, la combinaison de tissus de différents matériaux, origines, couleurs, motifs, tissages, est sa marque de fabrique. Par ailleurs, la diversité s’exprime aussi volontairement par le choix des mannequins, pour la plupart amateurs (dont certain.e.s habitant.e.s du quartier). Sadio Bee alterne les mannequins apparaissant seul.e.s avec les binômes, souvent composés d’une femme et d’un homme, de phénotype différents : une femme blonde avec un jeune homme brun originaire d’Afrique de l’Ouest, une femme d’origine asiatique, différents couples ou binômes illustrant une grande diversité. Un groupe de percussionnistes jouant du djembé accompagne le défilé.
Sur son site web, qui vient d’être entièrement refait, se trouvent toujours des mannequins de différentes origines qui portent ses créations. Les toutes dernières photos ont été prises dans la rue Sainte-Marthe, devant les boutiques et restaurants colorés (voir images 3 et 4).
Comme l’indique Getrud Lehnert (2013, p. 8), les vêtements doivent être mis en scène et performés afin de devenir la mode. D’un côté, ils sont montrés dans leurs dimensions esthétiques, spatiales et temporelles, d’un autre côté, au sein d’un contexte culturel de communication, appelant toujours à une interprétation qui ne pourra jamais être définitive et singulière. Sadio Bee a précisément choisi l’environnement de la création esthétique et matérielle des vêtements – la rue devant son atelier de travail. Depuis quelques années, ce quartier est non seulement son lieu de travail mais aussi son lieu de vie. Dans une interview que j’ai menée pour mon film Sainte-Marthe en fêtes16, il précise ce qu’il aime dans ce lieu :
C’est un quartier que j’aime beaucoup parce que c’est métissé, c’est mélangé, et de voir ces couleurs c’est agréable. Ça rappelle un peu mon quartier, où je suis né et où j’ai grandi au Sénégal. Vous avez les mêmes mouvements, les mêmes ambiances, les mêmes couleurs et c’est pour ça que j’aime ce quartier, j’aime cette rue. Il y a plein d’artistes, plein de bars, on peut vraiment se sentir bien. On se sent chez soi.
(extrait du film Sainte-Marthe en fêtes, minute 32)
La diversité des couleurs se rapporte non seulement aux origines des habitant.e.s et aux multiples métiers d’art et d’artisanat représentés, mais aussi, d’un point de vue purement esthétique, à l’architecture : façades colorées des boutiques, ateliers d’artisanat, restaurants, bars et habitations de ce quartier. Grâce à la mise en scène de cette diversité à travers les fêtes organisées par l’association Les Quatre Horizons (qui en a fait aussi son programme) et grâce au travail de militance de cette dernière avec l’association Saint-Louis Sainte-Marthe, le quartier a pu être sauvé de la destruction programmée. La conjoncture politique globale, favorable à la mise en scène et au marketing de la diversité ainsi que la victoire politique de la gauche à Paris qui s’était approprié beaucoup de projets de réhabilitation, notamment dans le nord-est parisien, ont permis une valorisation de la diversité du quartier, jadis dépréciée ou laissant indifférent, voire sa promotion comme argument de vente et de consommation. Enfin, du fait de sa longue histoire d’immigration et de la diversité sociale, linguistique et religieuse qui en résulte, le quartier de Belleville dans son ensemble constitue depuis deux décennies un sujet de recherche très suivi (Simon et al., 2000 ; De Villanova et Deboulet, 2011 ; Salzbrunn, 2011a et 2011b ; Raulin et al., 2016). La tension entre la valorisation commerciale de la diversité et la destruction des bases sociales et économiques de cette dernière y est notamment abordée : la hausse des loyers et des prix de la consommation conduit à une exclusion des habitants de certains bars et restaurants, puis à leur expulsion vers des arrondissements ou départements périphériques.
Finalement, comme le demandent les coordinatrices du présent numéro dans leur appel à contributions, « Quel peut être l’apport ajouté des méthodes visuelles dans l’enquête sur la migration internationale ? Quels aspects de l’expérience migratoire, ignorés ou dissimulés par d’autres outils des sciences sociales, les méthodes visuelles peuvent ou ont pu révéler ? » (Larrazet et al., 2019). Dans le cas de Sainte-Marthe, la performance de la diversité n’est pas seulement une performance d’un état désiré, dans le sens de Butler (1993), mais surtout la mise en scène d’une réalité fièrement vécue : dans le 10e arrondissement de Paris, 16 % des résidents ont une nationalité étrangère tandis que cette proportion atteint 28 % dans le quartier de Sainte-Marthe17. Comme le rappelle Deleuze (1969), chaque acteur/trice donne un sens particulier à sa performance : ici, Sadio Bee raconte à quel point et pour quelles raisons il se sent chez lui. Ses mannequins, aux couleurs et tissages multiples, défilent en différents binômes, afin de représenter une diversité de styles, de couples, d’origines. Cette performance de la diversité est une sémantique à la fois individuelle et collective, en ce qu’elle incarne un véritable contre-projet politique : les résident.e.s, travailleur.e.s, commerçant.e.s de ce quartier souhaitent son maintien, non seulement sur le plan architectural, mais avant tout sur le plan sociologique : la crainte que rénovation rime avec destruction et expulsion des personnes les plus fragiles a été le moteur d’une lutte commune pour la sauvegarde du patrimoine humain et architectural. Comme je l’ai montré ailleurs (Salzbrunn, 2011a et 2011b), la lutte était loin d’être paisible et unanime et la joie de la victoire de courte durée, car la valorisation du quartier a eu son prix en termes de vie diurne et nocturne, bien plus onéreuse qu’avant (augmentation des prix de consommation des cafés et restaurants, intensification des nuisances à cause d’une forte affluence de touristes, explosion des prix de l’immobilier, etc.). La valorisation du patrimoine matériel et culturel a donc eu pour conséquence non intentionnée par la plupart des acteurs, une accélération du processus de gentrification (voir à titre d’exemple les différents travaux réunis par De Villanova et Deboulet, 2011). La valorisation du quartier à travers des événements culturels tels que le défilé de mode « MixTissage » et la conduite de plusieurs OPAH (Opération programmée d’amélioration de l’habitat) l’a donc rendu plus attractif pour des touristes et des promoteurs. La Société immobilière de Normandie (SIN), propriétaire d’une très grande partie des logements et commerces dans les rues Sainte-Marthe et Jean Moinon, est d’ailleurs mise en vente en ce moment-même (novembre 2019), ce qui fragilise potentiellement les locataires.
Le travail filmique sur les fêtes comme moyens d’expression politique m’a permis de constater à quel point les habitant.e.s faisaient communauté (Sainsaulieu et al., 2010) de façon situationnelle (Rogers et Vertovec, 1995 ; Clarke, 2005) autour d’un objectif politique commun, en se focalisant sur leur appartenance à et leur amour pour le quartier. Le suivi des luttes politico-artistiques, dont le défilé de mode autour des créations de Sadio Bee, a permis de révéler que la migration, les origines – au sens national, voire nationaliste – jouent un rôle peu important. Elles sont mises en valeur de façon collective afin de défendre le lieu de vie commun et elles contribuent ainsi à retourner le stigmate qui pèse sur certaines populations. Dans le second exemple empirique, je montre comment ce retournement de stigmate a opéré dans le quartier génois de la Maddalena.
Le quartier génois de la Maddalena, près du port, présente quelques ressemblances avec le quartier parisien de Sainte-Marthe. Il est également marqué par une très grande diversité de sa population, la plus forte de la ville, qui se monte à 21,3 %18. Tout comme Sainte-Marthe, situé dans le même arrondissement que deux grandes gares parisiennes, et donc historiquement lié à l’immigration qui s’est déployée autour des nœuds de transport, la Maddalena a vu s’installer des ouvriers du port ainsi que de toute l’industrie et l’économie, formelle et informelle, qu’on trouve dans les villes portuaires. Aujourd’hui, la Maddalena, qui fait partie du centro storico, la vieille ville la plus grande d’Europe comme aime le rappeler l’office de tourisme, comporte aussi le pourcentage le plus élevé d’habitant.e.s diplômé.e.s de l’université. En ce sens, il reflète déjà un processus de gentrification dont artistes et intellectuel.le.s sont les précurseurs ambigus. Cependant, la pression immobilière est moindre à Gênes car cette ville a perdu 30 % de ses habitants en 40 ans19, laissant ainsi des dizaines de logements vacants et/ou occupés par des personnes vivant dans des conditions précaires.
Comme je l’ai rappelé au début de cet article, l’image de la Maddalena est malmenée par la presse locale qui rend la « mafia sénégalaise » responsable de l’inondation du quartier par les drogues, etc. À l’entrée d’une des rues menant vers le centro storico, on trouve encore les traces d’un avertissement datant de la seconde guerre mondiale et adressé aux soldats, les mettant en garde contre les maladies sexuelles transmises par les prostitué.e.s et contre la violence. Certains guides touristiques contemporains mettent également en garde contre les risques d’arpenter les petites ruelles, dont certaines sont presque trop étroites pour laisser passer plus de deux personnes (voir la carte, image 8). La nouvelle équipe municipale de droite, élue après des décennies de domination de la gauche en 2017, a « militarisé20 » le centre historique en réponse aux questions de sécurité. D’un autre côté, de plus en plus de groupes de touristes croisiéristes passent à travers le centre historique car la via Garibaldi, classée au patrimoine matériel de l’UNESCO grâce à ses nombreux musées et palais de l’époque renaissance, se trouve à deux pas de la via Maddalena (voir la carte, image 8). Parmi les dernières initiatives pour favoriser le tourisme au sein de la vieille ville, on compte la mise en place d’un tapis rouge et l’installation de lumières au-dessus de certaines ruelles sous forme de mots comme « art », « amour », « magie », « créativé », « sociabilité », etc. (image 9)
Comme à Sainte-Marthe, on dénombre de nombreux ateliers d’artisans à la Maddalena, notamment une dizaine de couturiers d’origine ouest-africaine (Sénégal, mais aussi Côte d’Ivoire) et ligurienne. À cela s’ajoute l’ouverture de nombreux magasins vintage, œuvrant pour des associations caritatives ou pour le compte d’individus, et s’adressant à des clientèles très variées sur le plan du pouvoir d’achat. En 2017, les couturier.e.s et gérant.e.s ont eu l’idée de se rassembler afin d’organiser un défilé de mode dans la rue Maddalena qui traverse le quartier. Une des motivations était le désir de retourner ce stigmate de criminalité et de danger qui pèse sur le quartier, et de valoriser la diversité de ses résidents, quels que soient leurs origines, statuts, classes sociales, etc. J’ai suivi les préparatifs du second défilé la Maddalena à Gênes, qui avait lieu à l’automne 2017, avec la chercheuse senior du projet ERC ARTIVISM, Raphaela von Weichs, ainsi que Pascal Bernhardt, un Français installé à Gênes, qui a commencé à travailler dans notre équipe à ce moment-là et qui avait été sollicité auparavant par les organisateurs et organisatrices du défilé de la Maddalena pour réaliser un spot sur l’événement21.
Étant arrivée à Gênes afin de travailler sur l’art et l’activisme, et ayant choisi de laisser une place maximale aux surprises, découvertes, à l’imprévu, je suis rapidement tombée sur l’existence de ce défilé de mode. D’emblée, il me paraissait comme une forme de performance politique, une mise en scène de soi et de l’altérité, une façon de mettre en scène la diversité et la communalité (commonality – le point commun d’être attaché à ce quartier, quelles qu’en soient les raisons). Les prises de vue du travail de préparation ont permis de révéler « ce qui se joue » (Lallier, 2018) dans l’exercice de représentation, notamment au moment où le corps et le nouvel habit font un. Ou, comme l’indique Lehnert (2013), ce qui se passe au moment de la mise en scène des habits par le corps ou des corps par les habits. Selon elle, l’habit de mode change le corps et produit de nouveaux corps, les corps de mode, qui ne sont ni seulement habit ni seulement porteur d’habits.
Image 10 – Capture d’écran du film Défilé Maddalena la Superba de Pascal Bernhardt et Monika Salzbrunn (2018) : « Cela me fait me sentir important »
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© Pascal Bernhardt, Monika Salzbrunn
Au moment des prises de vue des préparatifs, nous avons demandé aux mannequins, dont aucun n’est professionnel, quel effet le revêtement de ces habits leur faisait. Un jeune homme d’origine maghrébine, qui avait eu quelques déboires dans son adolescence, a répondu au moment où il a enfilé un costume en soie des années 1960, « Cela me fait me sentir important ». La caméra permettait d’observer la manière dont son corps se redressait, s’allongeait, jusqu’à atteindre une posture fière, digne, respectée22. Au fur et à mesure, le jeune homme habitait son habit, se fondant dans la symbolique de la personne importante, à responsabilités qui émanait de la matérialité même du costume : la chemise, le foulard, la veste, le pantalon, etc. Toute l’expérience du rejet, de la dépréciation dont il avait fait l’objet par moments au cours de sa jeunesse, semblait s’être effacée derrière la joie de porter un signifié représentant un autre statut. L’échange s’est déroulé dans une grande complicité avec le cameraman qui, ayant vu évoluer le jeune homme, a partagé sa fierté de s’être sorti de ses difficultés, et d’incarner sa réussite à travers ce costume précieux. Un autre acteur de la situation, Patrick, ancien réfugié politique et très connu dans ce quartier pour sa générosité, rayonnait également de joie et de fierté, disant à la caméra « Je suis très content que je suis en Italie et que je suis à Genova », puis déclarant son amour « plus que tout » pour le quartier, la Maddalena.
Image 11 – Capture d’écran du film Défilé Maddalena la Superba de Pascal Bernhardt et Monika Salzbrunn (2018) : « Je suis très content que je suis en Italie et que je suis à Genova »
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© Pascal Bernhardt, Monika Salzbrunn
Patrick a perdu un bras mais est désormais habitué à effectuer la plupart des tâches avec une seule main. Durant l’aller sur le catwalk du défilé, il portait une veste, mais l’a enlevée au retour, de sorte que son bras manquant était visible. Applaudi très chaleureusement pendant son apparition, embrassé par le mannequin suivant, il a vécu un moment très émouvant.
Image 12 – Capture d’écran du film Défilé Maddalena la Superba de Pascal Bernhardt et Monika Salzbrunn (2018)
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© Pascal Bernhardt, Monika Salzbrunn
Plus loin, Cheikh, le patron sénégalais d’un atelier de couture retraçait fièrement la trajectoire migratoire de sa famille de couturiers : Sénégal, Côte d’Ivoire, Italie, etc. Pour lui, le défilé représentait avant tout une opportunité de montrer ses créations à tout le monde. Nous avons filmé Cheikh dans son atelier, pendant qu’il travaillait de façon concentrée sur un costume :
C’est un métier que j’ai grandi avec. Cela fait maintenant 28 ans de métier. J’ai commencé dans notre pays, le Sénégal, et je l’ai fait dans beaucoup de pays d’Afrique avant de venir ici. On l’a fait au Mali, on avait même un atelier de couture là-bas. On l’a fait au Togo, au Nigéria, au Cameroun, on a fait beaucoup de pays. En Afrique, tout le monde voit que c’est un travail de Sénégalais.
(extrait du film Défilé Maddalena la Superba, minute 1)
Comme l’une des motivations des personnes rassemblées autour de l’idée du défilé était de valoriser le travail de couture, le métier commun ressortait comme un point de ralliement, plus important que les origines ou appartenances religieuses des personnes qui n’apparaissent pas en tant que tels pendant l’événement. Elles ont néanmoins été évoquées quand nous avons conduit des entretiens avec le tailleur Cheikh. La question des pratiques religieuses a été posée par endroits, quand, comme au printemps 2019, le défilé tombait pendant le Ramadan. L’enthousiasme pour maintenir la vitrine publique de ces créations l’a finalement emporté sur les critiques portées au choix de la date. Par ailleurs, une attitude critique face à l’industrie globalisée de la mode et en faveur des créations locales et des circuits de seconde main a réuni les protagonistes.
Tout comme les prises de vue individuelles ont déclenché des énoncés sur la manière dont le corps et l’esprit habitent les vêtements, les prises de vue de l’événement en lui-même ont renforcé la mise en scène de soi. Nous avons travaillé avec deux caméras, l’une à la main et l’autre fixe, posée dans la rue à l’endroit où le défilé se termine. Devant la caméra fixe, avant de se retourner pour remonter le catwalk improvisé, un certain nombre de personnes ont accentué leurs mouvements de danse, suivant le rythme enthousiasmant des musiques d’accompagnement, à la grande joie des nombreus.e.s spectateur.rice.s serré.e.s debout sur les côtés (fig. 13). Ainsi, la caméra est un moyen permettant non seulement d’entrer en contact avec les filmé.e.s, mais aussi de renforcer leurs mises en scène de façon situationnelle : la présence de la caméra peut avoir pour effet d’inciter les filmés à mettre en scène de manière particulièrement expressive et explicite leurs appartenances multiples selon le principe de la « profilmie » (De France, 1989 ; Yuval-Davis et al., 2006). Danses, acrobaties, maquillages exotisants avec des traits blancs sur les joues (fig. 14), toutes sortes de gestes témoignant la joie, ou encore des signes de salutations étaient performés de façon théâtrale par tous ces habitant.e.s et ami.e.s du quartier transformé.e.s en mannequins d’un jour.
Image 13 – Capture d’écran du film Défilé Maddalena la Superba de Pascal Bernhardt et Monika Salzbrunn, 2018, scène finale
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© Pascal Bernhardt, Monika Salzbrunn
Sur cette capture d’écran, on note la mise en scène du passé ouvrier et artisanal du quartier par le biais du marteau et de la robe cousue à partir d’un bleu de travail, portés par la femme tout à gauche. La seconde personne sur la gauche porte un maquillage ethnicisant sur tout le visage, une allusion à l’Afrique subsaharienne. Ce clin d’œil aux origines est également exprimé par les pas de danse du mannequin au premier plan au milieu. La deuxième femme sur la gauche porte des vêtements vintage, valorisés comme expression d’une critique du consumérisme capitaliste, évoquée dans le film par la femme à droite du danseur.
Image 14 – Capture d’écran du film Défilé Maddalena la Superba de Pascal Bernhardt et Monika Salzbrunn (2018)
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© Pascal Bernhardt, Monika Salzbrunn
La représentation de soi, de son attachement au quartier, à la localité, ressort finalement comme point fort – un aspect bien plus important que la performance des origines, plutôt mis en avant pendant les entretiens au cours de la préparation du défilé. L’on constate néanmoins tout au long du processus filmique (entretiens, préparatifs, défilé) un enchevêtrement de références nationales, locales, avec la mise en scène d’éléments hybrides : des vêtements vintage sont mis en valeur tout comme des créations contemporaines, semblables à celles de Sadio Bee, qui combinent des patrons courants en Europe avec des bouts de tissus maliens ou du wax. Dans la mémoire des habitants, cet événement a surtout renforcé les liens des un.e.s avec les autres, ainsi que le sentiment d’attachement au quartier. Vivre et performer la joie et la fierté d’être le protagoniste d’un jour du quartier de la Maddalena permet d’affirmer sa place dans ce lieu, ce qui est particulièrement important pour les personnes sujettes au racisme grandissant en Italie, notamment les (anciens) réfugiés, dont plusieurs ont participé au défilé.
Sur ces deux terrains, l’emploi de la caméra comme outil de recherche était possible grâce à un travail d’immersion à long terme (une douzaine d’années à Paris) et/ou grâce à une mise en relation avec les protagonistes par une personne de confiance pendant la première phase d’un terrain de dix-huit mois. L’approche générale du projet ERC ARTIVISM, partant d’événements au sein de l’espace urbain afin de saisir comment l’art est mobilisé comme un acte politique, a permis d’éviter le piège du groupisme dénoncé par Brubaker (2004), ou celui de la reproduction du nationalisme méthodologique (Wimmer et Glick Schiller, 2002) par la conception même d’un projet de recherche. Arriver sur un terrain pour saisir ce qui s’y joue demande d’accompagner les résidents et artisans dans leurs préoccupations et activités quotidiennes (Fontorbes et Granié, 2018), afin de comprendre les enjeux locaux : d’un côté la sauvegarde du patrimoine architectural et humain dans toute sa diversité et, de l’autre côté, la promotion d’un artisanat local, de modèles économiques alternatifs et le retournement de stigmates fondés sur l’origine des résident.e.s. Dans les deux cas, les représentations des migrations ont été performées de façon implicite au cours de l’événement, mais parfois mentionnées explicitement durant les entretiens : la diversité a été valorisée, mise en scène, mais de façon ludique et théâtrale (par des maquillages, des pas de danse et des tissus combinés) et rarement de façon essentialisante et réifiante. La manière ludique de jouer avec des tissus et des maquillages est une façon de retourner le stigmate qui pèse sur ces deux quartiers ainsi que sur certains résident.e.s, parfois insulté.e.s sur la base de leurs origines respectives. Dans d’autres (rares) cas, comme celui du tailleur sénégalais Cheikh qui parle de sa trajectoire migratoire, le savoir-faire d’une profession (tailleur) a été fièrement lié à un pays (Sénégal). Cette valorisation de ses propres origines n’exclut pas pour autant un fort attachement au quartier actuel de résidence ou une coopération avec des tailleurs ivoirien et ligurienne, travaillant dans le même quartier.
Le travail avec la caméra a également permis de faire ressortir la transformation des postures corporelles des filmé.e.s au moment de l’habillage à Gênes. Le redressement qui s’opérait au moment où l’habit et le porteur devenaient un, se transformant pour ce défilé de mode si particulier, saute aux yeux. Cette scène si frappante sur le changement de statut vers une fière affirmation de soi se documente beaucoup mieux de façon visuelle que de façon textuelle.
Enfin, la caméra comme outil de recherche a déclenché des performances accentuées volontairement au moment des événements, notamment les défilés de mode, mais aussi pendant les entretiens. Ainsi, les filmé.e.s devenaient acteurs et actrices, co-productrices et co-producteurs des images qui allaient circuler sur elles et eux. Dans un contexte de stigmatisation et de rejet de quartiers urbains entiers et/ou de la population qui y réside, véhiculés par les médias, en particulier depuis la forte augmentation de l’influence et de la prise de responsabilités politiques de l’extrême droite en Italie mais aussi par endroits en France, le désir de retourner le stigmate, notamment en valorisant son potentiel créatif particulier à travers la mode, est plus grand que jamais chez les personnes cibles. Parler de trajectoires professionnelles comme le fait le tailleur sénégalais dans un contexte de stigmatisation lié au commerce de drogue dans le quartier où il exerce son métier est une façon de contre-performer l’image de soi au sens individuel mais aussi de façon collective, car non seulement le quartier de la Maddalena a été connoté négativement par la presse locale, mais aussi « les Sénégalais ». La caméra a donc renforcé la mise en scène de soi et de la solidarité autour d’un objectif politique commun. Faire communauté devant la caméra en étant conscient des enjeux liés à la médiatisation s’inscrit dans cette bataille médiatique dont nous, chercheur.e.s, faisons partie.
1 Je voudrais remercier Sara Wiederkehr, doctorante-assistante au sein du projet ERC ARTIVISM, pour son aide dans la préparation des références et pour des discussions stimulantes. Je remercie également mon assistante Ana Rodriguez pour ses corrections et remarques pertinentes, ainsi que Lorena Ehrbar, étudiante-assistante, pour les recherches statistiques et l’aide à la mise en forme de cet article.
2 Ce projet a reçu un subside du Conseil européen de la recherche (ERC) dans le cadre du programme cadre de recherche et d’innovation Horizon 2020 (ARTIVISM, « Art and activism. Creativity and performance as subversive forms of political expression in super-diverse cities », numéro de projet 681880). Je remercie le Laboratorio di Sociologia Visuale de l’Università degli Studi di Genova de m’avoir accueillie comme professeure invitée durant l’année 2017-2018.
3 Il Secolo XIX, 13 octobre 2017, titre « Sangue, santoni e magia : così la “mafia” senegalese ha inondato di crack i vicoli » (traduction : « Sang, saints et magie : ainsi la “mafia” sénégalaise a inondé les ruelles de crack »).
4 Voir le site Internet dédié à ce projet : www.erc-artivism.ch.
5 Projet « Lokale und translokale Feste als Spiegelbilder politischer Programmatik » (Fêtes locales et translocales comme miroirs de programmes politiques), soutenu par la Deutsche Forschungsgemeinschaft dans le cadre du programme Emmy Noether, puis poursuivi dans le cadre de mon poste au CNRS.
6 Selon l’argumentation de Steven Vertovec (2007), la « super-diversité » s’exprime également par une diversification croissante des origines des habitant.e.s. Dans les cas de Gênes, cela signifie qu’on est passé de cinq pays significatifs d’origine des résidents il y a vingt ans à une douzaine aujourd’hui. Tandis qu’en 2000, le Sénégal et le Maroc représentaient les pays d’origine les plus importants, il s’agit aujourd’hui de l’Équateur et de l’Albanie. Dans le centre-est, dont la Maddalena fait partie, l’Équateur, le Maroc et le Sénégal sont toutefois les pays d’origine les plus représentés au 31 décembre 2016 (source : Commune di Genova, Andamento alla populazione).
7 Le 27 novembre 2012 déjà, l’agence de presse ANSA avait relayé un article intitulé « Droga, maxioperazione a Genova » (traduction : Drogue, grande opération à Gênes) dans lequel est écrit « beaucoup de personnes arrêtées sont d’origine sénégalaise ». https://www.ansa.it/web/notizie/regioni/liguria/2012/11/27/Droga-maxioperazione-Genova_7862348.html
8 Agence de presse ANSA, 12 mars 2020 : « Coronavirus: ambulanti senegalesi. “Città deserte, preoccupati”. Comunità, rischio grave sostentamento, non sappiamo come fare » (traduction : « Coronavirus : vendeurs ambulants sénégalais. “Villes désertes, inquiètes”. Communauté, risque sérieux de subsistance, nous ne savons pas comment faire ». https://www.ansa.it/abruzzo/notizie/2020/03/12/coronavirusambulanti-senegalesicitta-deserte-preoccupati_230a305a-c6e5-4c51-8586-34d4a6bd8600.html
9 Voir à titre d’exemple celui publié en 2018 par le Collectif Sociologie filmique du Centre Pierre Naville et le Laboratoire de Sociologie visuelle.
10 Via son film sur les Inuits, Nanook of the North, 1922.
11 Par exemple, le séminaire de Monika Salzbrunn à l’université de Lausanne en 2020 (« Méthodologies innovantes en sciences sociales des migrations : anthropologie graphique, visuelle, cartographie alternative et plus ») et la conférence de Monika Salzbrunn et Raphaela von Weichs (colloque de recherche de l’ISSR, automne 2020, « Restitution et collaboration en anthropologie audio-visuelle et graphique »).
12 Comme Jean Rouch le rappelle, Robert Flaherty a passé une année sur place avant de déballer son matériel cinématographique.
13 Quelques années après la parution du fameux texte de Rouch, Jay Ruby (1980) plaide au contraire pour un style positiviste, empiriciste et scientifique, invitant les chercheur.e.s à toucher la caméra le moins possible, une fois que cette dernière est installée sur son trépied.
14 De nombreux travaux ont été publiés sur Belleville, notamment sur la partie située dans les 19e et 20e arrondissements. Voir à titre d’exemple les textes réunis par De Villanova et Deboulet (2011).
15 L’extrait de ces notes et l’analyse qui s’en suit proviennent d’un projet portant sur le quartier de Sainte-Marthe pendant une dizaine d’années. Un des aspects évoqués ici a été développé par Salzbrunn (2011a).
16 SALZBRUNN Monika (2019), Sainte-Marthe en fêtes, 43 min. (extrait minute 32).
17 Selon l’INSEE (2016) et la mairie du 10e arrondissement de Paris : https://www.mairie10.paris.fr/mes-demarches/politique-de-la-ville/statistiques/statistiques-51.
18 Dans la partie Centro Est dont la Maddalena fait partie, 12,1 % des résidents étaient de nationalité étrangère au 31 décembre 2016. Selon l’atlas statistique de la commune de 2008, plus détaillé, le quartier de la Maddalena accueille 21,3 % de résidents étrangers.
19 La population est passée de 816 872 habitants en 1971 à 578 000 fin 2018 (selon la Comune di Genova, Il Censimento 2011 et les données ISTAT : https://www.tuttitalia.it/liguria/45-genova/statistiche/popolazione-andamento-demografico/).
20 Terme utilisé par les associations qui dénoncent les abus de l’exécutif et par une partie de la presse, évoquant les actions du maire Bucci comme des « militarisations du centre historique ». Voir notamment cet article : https://genova.repubblica.it/cronaca/2017/08/12/news/titolo_non_esportato_da_hermes_-_id_articolo_7749925-172871948/?refresh_ce
21 BERNHARDT, Pascal, SALZBRUNN Monika (2018), Défilé Maddalena La Superba à Gênes, 6 min, [en ligne] http://erc-artivism.ch/first-erc-artivism-shortfilm-defile-maddalena-la-superba-a-genes/ (extrait : minute 1).
22 Extrait du film Défilé Maddalena la Superba, minutes 2 et 3.
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