Monique Peyrière, Chercheure au centre Pierre Naville, Université Paris Saclay
Toute à sa fonction dominante de concentrer les lumières sur ce sommet de l’être qu’est la pensée, la philosophie oublie souvent qu’avant la pensée il y a le songe, qu’avant les idées claires et stables il y a les images qui brillent et qui passent ; pris dans son intégralité l’homme est un être qui non seulement pense mais qui d’abord imagine, un être qui éveillé est assailli par un monde d’images précises et qui endormi rêve dans une pénombre où se meuvent des formes inachevées, des formes qui se déplacent sans lois, des formes qui se déforment sans fin […]
Pour une détermination complète de l’être humain, il faut faire le total d’un être nocturne et d’un être diurne. Il faut essayer de trouver les dynamismes qui vont d’un pôle à l’autre, entre songe et pensée. Si on se donne ainsi une certaine largeur d’examen, on se rend vite compte que la nuit et le jour, dans l’âme humaine, ne sont pas des éléments logiques qui s’opposent absolument.
Gaston Bachelard (1954)1
« Puis-je étudier la naissance d’un art ? C’est-à-dire le passage du cinématographe, domaine de l’esthétique, à celui d’un art, le cinéma ? » Ainsi s’interroge Edgar Morin dans une note laissée dans les brouillons manuscrits qui accompagnent une des versions du projet de thèse qu’il dépose en 1951 pour son entrée au CNRS2. Les axes définis dans ce projet d’Enquête sur la sensibilité esthétique dans le milieu technique contemporain (ou des influences du milieu technique contemporain sur la sensibilité esthétique). Essai de sociologie esthétique, mettent l’accent « sur l’esthétique de la vie quotidienne » qui devra s’intéresser à « la beauté des objets utiles » et à leur « perfection mécanicienne3 ». Le second axe, « Les Arts et la sensibilité nouvelle », prévoit d’étudier l’irruption de la technique dans la poésie-littérature, le roman, la peinture, la musique et les « arts nouveaux », c’est-à-dire la photographie et le cinéma. « Ce dernier », écrit Morin, « exprime directement toute la sensibilité esthétique nouvelle ». Il souligne : « Le cinéma est l’art pilote du monde contemporain » ; dans la foulée il propose « une enquête sur les réactions esthétiques des usagers du cinéma4 ». Il ne sait pas encore que dans les années qui suivront son entrée au CNRS il consacrera ses recherches exclusivement au cinéma, qu’il abordera par une préoccupation double, esthétique et technique.
Si c’est en 2016 que Morin finalise un ouvrage entièrement consacré à l’esthétique5, on trouve trace de cette préoccupation dès 1950 dans le chapitre du projet de recherche intitulé : « Les caractères de la sensibilité nouvelle (processus d’assimilation, sensibilité-milieu) ». Il y décline un éventail de modalités qui éclairent la participation des humains au milieu matériel quand sujet et objet deviennent « sensibles » l’un à l’autre, l’un par l’autre. Ce n’est pas l’opération d’appropriation de l’objet par le sujet qui retient son attention mais ce qu’il nomme « la sensibilité quasi-cénesthésique » née de la civilisation industrielle : « Les participations au nouveau milieu, dans sa réalité neuve et violente, ont provoqué une renaissance d’émotions confuses ressenties subjectivement… C’est la présence du milieu extérieur ressentie comme intérieur6. » Pour Morin « le monde sans âme des machines est un monde peuplé d’âmes. L’Homme ne peut vivre avec ses choses que s’il leur donne une âme, ou s’il les imprègne de la sienne7. » Ce sera le rôle du cinéma : à lui de rendre « sensible » la complexité des processus issus d’un monde moderne en crise8.
Cette attention réservée par Morin au cinéma en tant que médium technologique porte l’empreinte de son directeur de thèse, le sociologue Georges Friedmann, marxiste non orthodoxe, auteur en 1946 du Travail en miettes. Pour ce dernier la technique est à l’origine d’un milieu spécifique nouveau, la civilisation industrielle, au sein duquel la rencontre entre humains et technologie est source de changements anthropologiques, progressistes et régressifs, qui obligent le sociologue à inventer de nouvelles façons de faire de la sociologie. Dans le rejet des certitudes dogmatiques des sociologies post-durkheimienne et marxiste, Friedmann privilégie l’enquête de terrain et revendique une approche des phénomènes sociaux en tension entre empirie et théorie. Morin dira plus tard: « Friedmann m’a poussé à l’étude des médias, parce que les médias, c’était de la technique9 ». Dans un livre paru en 2017, il ajoute : « Il y a des mimétismes qui sont des véritables possessions : j’adorais imiter mon maître et ami Georges Friedmann à ce point que ce besoin de l’imiter me possédait très souvent. Mais ce qui me possédait surtout, c’était sa personne : imitant sa voix, je pensais comme lui, j’étais lui, tout en restant à peine moi 10 ».
Morin aime raconter sa rencontre avec celui qui l’introduit au Centre d’Études Sociologiques du CNRS : « J’ai connu Friedmann à Toulouse quand il était réfugié. J’étais moi-même réfugié… Lui avait été calomnié par le parti communiste après son livre De la Sainte Russie à l’URSS (1938) qui comportait des critiques de l’URSS… Quand je l’ai lu, et comme nous étions amis, je lui ai dit : « Je vais entrer au parti communiste clandestin. Qu’en pensez-vous ? ». Il m’a répondu " Peut-être devriez-vous faire cette expérience ". Quelle prudence dans les choix des mots : il voulait me prévenir sans me décourager11 ». En 1949 Morin narre dans Parallèle 50 la suite de ce moment : « En 1942 encore étudiant, à demi résistant je cherchais le parti communiste et j’en avais peur. Les grandes illuminations de cette période furent pour moi la parole de Valentin Feldmann12 aux Allemands qui le fusillaient : "Imbéciles, c’est pour vous que je meurs" et celle de Jean-Pierre Timbaud : "Vive le Parti communiste allemand". Ce sont de telles paroles qui éclairent une vérité sans frontières, la vérité anti-raciale elle-même, qui me donnèrent l’enthousiasme et le courage d’adhérer au parti13 ». C’est à cette époque qu’Edgar Nahoum devient Edgar Morin, lui l’étudiant en histoire, qui avait étudié Hegel, Marx et les présocratiques auprès de ses maîtres Georges Lefebvre et André Aymard. Du premier, spécialiste de la Révolution française, il dira: « Georges Lefebvre m’avait enseigné que des processus peuvent être déclenchés, qui aboutissent à des résultats contraires aux intentions qui les avaient initiés14 » ; axe essentiel de la pensée morinienne dans sa traduction plus tardive en « écologie de l’action », c’est-à-dire: « L’idée qu’une action une fois lancée est transformée par de multiples interactions et rétroactions. Et bien souvent elle ne va pas dans le sens voulu15. »
Georges Friedmann et Edgar Morin, sans oublier la jeune philosophe étudiante de Vladimir Jankélévitch, Violette Chapellaubeau qui partage la vie de Morin, ne sont pas sans avoir expérimenté ces bifurcations de l’Histoire tout au long de leurs activités engagées dans la Résistance, qu’ils ont menées à des postes de responsabilité au service de ce média de guerre qu’on nomme « Propagande ». Le premier fut alors chef de réseau sous le nom de Parmentier ; le second membre du Parti Communiste clandestin et agent actif dans le MNPGD16 dirigé d’abord par Michel Caillau, neveu du Général de Gaulle puis par François Mitterrand ; à la fin de la guerre Morin devient chef du bureau à la Direction de l’Information au gouvernement militaire français en Allemagne. Une mission partagée avec Violette Morin, au cours de laquelle il écrira son ouvrage remarqué L’an zéro de l’Allemagne17. De retour à la vie civile Morin intègre la presse communiste et devient rédacteur du Patriote résistant18 (journal de la Fédération des déportés et internés résistants et patriotes), période au cours de laquelle il fait la connaissance de l’ancien déporté Jacques Gabillon, futur protagoniste du film Chronique d’un été.
Cependant en cette fin des années 1940, l’engagement de Morin dans un media commence véritablement avec son activité journalistique et les vingt-trois articles qu’il publie dans Parallèle 50, hebdomadaire parisien du ministère de l’information de la Tchécoslovaquie, alors jeune démocratie populaire qui, après le coup de Prague de l’hiver 1948 devient un pays sous stricte influence stalinienne. Morin sera un des collaborateurs du journal de 1947 à 1950, date de son exclusion de l’hebdomadaire, cette dernière précédant de peu celle que lui signifie le parti communiste au printemps 1951. Journaliste, Morin est alors aussi romancier19, intellectuel et militant communiste, actif dans les débats concernant le rôle de la culture dans l’émancipation et la conscientisation des peuples. Lui et ses amis de la rue Saint Benoît, Marguerite Duras, Dionys Mascolo et Robert Antelme entrent en résistance contre le « jdanovisme culturel » de l’intelligentsia communiste qui soumet à censure et à exclusion la production artistique, intellectuelle et culturelle non conforme à la ligne définie par le Parti.
Ce contexte de fortes tensions artistique et politique, contrebalancées par une certaine liberté (Morin partage les idées crypto-dissidentes du rédacteur en chef20), offre un cadre de lecture à ce corpus d’articles21 publié dans Parallèle 50, dont on peut dire qu’il est avec l’Homme et la mort, l’une des sources ayant inspiré le programme de recherche déposé au CNRS sur la « sensibilité esthétique contemporaine », qui inclut le cinéma. On y trouve des articles de Morin – sur des thématiques en partie reprises dans l’Esprit du temps22-, sur l’histoire du roman ou du théâtre, des critiques sur les livres et les pièces de Camus, Tchekhov ou Marivaux, des apartés en philosophie (le Traité des vertus de Jankélévitch23), « la dialectique de la nature » ou encore « la mode ». Morin prend part aux polémiques du moment comme celle concernant le théâtre filmé autour du film Les Parents terribles de Cocteau. Contre Bazin24 il soutient qu’« avec de telles tentatives (de théâtre filmé) le cinéma risque de négliger provisoirement ses immenses possibilités propres25. » Car le cinéma est bien présent dans Parallèle 50 à travers les articles réguliers du critique Raymond Barkan (Cinéma et social26), et ceux occasionnels des théoriciens du cinéma, Béla Balázs (le réalisme au cinéma)27, Sergueï Eisenstein (sur le montage)28, André Bazin (cinéma et société)29, Georges Sadoul (sur les ciné-clubs30) ou Chris Marker31 ; les trois derniers signent dans le journal au nom de Travail et Culture32. L’ensemble de ces articles s’inscrit dans le contexte de la guerre froide et dans les remous idéologiques internes au PCF (en novembre 1949 Mao Tse Toung publie dans la revue un long article sur « l’art et la réalité »). Mais il porte également la trace des débats qui, dans ces années d’après-guerre, animent gens de cinéma, critiques, intellectuels et universitaires ou responsables d’institutions, à propos du cinéma33.
Georges Friedmann n’est pas sans connaître la teneur de ces débats actifs en Europe comme aux États-Unis, d’autant qu’il est proche et fin connaisseur de l’œuvre du sociologue des médias américain Paul Lazarsfeld. En 1951 la proposition de Morin et son approche technique et anthropologique du cinéma comme media arrivent au bon moment pour conforter l’influence de la sociologie française au sein d’une institution récente de notoriété grandissante : l’Institut international de filmologie. Jusqu’alors le Centre d’Études Sociologiques avait délégué son directeur de recherches Pierre Naville, alors proche de la psychologie sociale d’Henri Wallon, au premier congrès international de filmologie qui s’était tenu à Paris à l’automne 1947. Cependant avec l’apport de Morin Friedmann entrevoit l’opportunité de développer dans le double cadre du CNRS et de l’Institut de filmologie les prémisses d’une véritable sociologie des médias à la française, avec pour programme des recherches circonstanciées sur le cinéma, sa genèse, son rôle social, ses effets sur le public, ses contraintes tant économiques, techniques, qu’esthétiques. Avec l’appui de Friedmann et parfois sa collaboration, Morin devient alors un collaborateur actif des recherches transdisciplinaires autour du « fait filmique » et du « fait cinématographique », initiées à partir de 1947 par Gilbert Cohen-Séat, directeur de l’Institut.
« Le fait filmique affecte directement les éléments de la vie psychique […] Il ne s’agit pas seulement de ces états ou de ces fonctions mentales considérés sous l’influence actuelle du fait filmique au moment où il se produit ; il s’agit aussi d’éventuelles déformations ou informations, de toutes les empreintes ou conséquences durables du fait filmique sur la vie de l’esprit34. » C’est à l’étude de cette activité mentale que se consacre le philosophe Gilbert Cohen-Séat. Homme charismatique, auteur d’un Essai sur les principes d’une philosophie du cinéma35, producteur de films de fiction et de films scolaires, philosophe préoccupé de didactique, Cohen-Séat réussit entre 1947 et 1963 à réunir de nombreux intellectuels, chercheurs et universitaires dont certains de renom36, pour des activités de recherche, des conférences, des cours en Sorbonne, des colloques internationaux auxquels participent des chercheurs venus d’une centaine de pays ; tous travaillent sur le cinéma. Parmi eux : Edgar Morin.
La Revue internationale de filmologie fait connaître les travaux de ces chercheurs ; de surcroît elle publie en français Shannon, Laswell, Lazarsfeld, Kracauer, participant ainsi aux échanges entre chercheurs américains et européens. L’Institut de filmologie devient à la fin des années quarante un des lieux éminents de diffusion des controverses en théories de l’information, de la communication, en physiologie du cerveau, en psychologie et sociologie des médias, en esthétique et en théorie du film. Par ailleurs l’Institut lance de nombreuses enquêtes avec pour principale cible l’enfant ou l’adolescent ; elles sont accompagnées par les psychosociologues Henri Wallon et Pierre Naville, par André Rey disciple de Jean Piaget, ou par les psychiatres et psychanalystes Françoise Dolto (sur l’étude de la contribution de l’enfant à l’élaboration de films37) ou Serge Lebovici sur la puissance suggestive des films. La liste est longue. En filmologie on reconnaît bien le cinéma en tant qu’art, mais cette part-là est laissée aux critiques de cinéma. En revanche on se donne pour objectif spécifique d’étudier le cinéma scientifiquement, comme partie d’une esthétique « moderne », aux potentiels ayant, par hypothèse, des effets civilisationnels sur les individus comme sur les groupes sociaux. On pense le cinéma comme un miroir à deux faces, l’une psycho-bio-physiologique, l’autre anthropo-philo-sociologique. Il en est ainsi de la recherche de Cohen-Séat sur « l’image en mouvement et ses stimuli sur le cerveau pour en découvrir une couche archaïque antérieure aux différenciations culturelles »38 dont le projet cognitif est à l’opposé des travaux du philosophe Etienne Souriau (qui explore « l’univers cinématographique ») et de ceux d’Edgar Morin qui dans ces années filmologiques étudie – notamment - l’attachement du public de cinéma à la « vedette »39 ou encore l’influence du cinéma sur le public adolescent40. Ces recherches coexistent et font l’hypothèse d’un dialogue fécond entre disciplines.
En 1947 la démarche de l’Institut de filmologie apparaît novatrice et singulière. Pourtant elle s’inscrit en partie dans la continuité de quelques initiatives qui l’ont précédée. Ainsi l’importance accordée au cinéma fait écho au Front Populaire qui sous la bannière de Jean Zay souhaitait diffuser le cinéma dans l’éducation des enfants : Cohen-Séat avait alors participé au comité interministériel sur le cinéma dans le gouvernement Blum. Par ailleurs la rigueur scientifique revendiquée par l’Institut de filmologie rappelle d’autres démarches nées pendant la guerre dans la lutte contre l’idéologie nazie et son déploiement au cinéma. Quelle avait été la fonction du cinéma dans l’enrôlement des populations lors de la montée des fascismes pour que celles-là s’engouffrent dans de telles failles de l’Histoire ? Comment le cinéma peut-il se révéler être au service d’une idéologie raciste et raciale et conduire ainsi les humains vers leur propre déshumanisation ? L’inconscient d’un peuple serait-il manipulable par le cinéma ? Comment le cinéma participe-t-il aux phénomènes de croyance et quelle est son action sur le mental des individus ?
Le pouvoir des images, en particulier dans le cinéma de fiction, est ausculté tout au long de la guerre : il s’agit d’identifier les agents d’efficacité de ce cinéma afin d’activer la découverte d’antidotes à ces images. Aux États-Unis on met en place des recherches sur les communications de masse portant pour l’essentiel sur les « effets » des médias sur les attitudes et les comportements des individus, ce qui donne lieu à des controverses pérennes sur le rôle de l’émetteur et celui de récepteur, sur l’élaboration du concept de persuasion. Dès 1942 la cinémathèque du musée le MOMA et la New School for Social Research de New York créent des groupes de travail sur le cinéma et la « communication totalitaire »41 en associant, artistes, professionnels du cinéma, publicitaires, à des chercheurs de différentes disciplines académiques ce qui occasionne un dialogue fécond entre sciences sociales, psychologie et praticiens du cinéma42. C’est dans ce cadre que Siegfried Kracauer, sociologue et théoricien du cinéma, ayant fui la France vichyste après l’Allemagne nazie, émigré aux USA à partir de 1941, construit les bases de son ouvrage qui paraît en 1947 : De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du cinéma allemand43. Cette étude réexamine les films allemands dont il avait fait théorie et critique dans la Frankfurter Zeitung ; il était alors, avant 1933, le journaliste qui avait développé une analyse singulière de la société par une approche technique, formelle et politique du cinéma44. La préface de l’ouvrage de Kracauer (mal traduite) est publiée en français dès 1948 dans la Revue Internationale de filmologie ; elle fait l’objet de commentaires réguliers de la part d’Edgar Morin tout au long de ses travaux sur le cinéma.
Ainsi au sortir de la guerre les recherches « scientifiques » ou « académiques » sur le cinéma gagnent en visibilité. En France plusieurs ministères, dont celui des armées, la Sorbonne et le Centre National de la Cinématographie (CNC) apportent leur soutien à la création de l’Institut de filmologie45. « Cohen-Séat a conçu la filmologie », écrira Morin, « à la fois comme une discipline englobante, c’est-à-dire englobant les approches différentes, physiologiques, psychologiques, sociologiques, historiques, esthétiques, voire philosophiques, du phénomène filmique […] et comme une discipline originale, vouée à la spécificité filmique. Du côté de l’interdisciplinarité des sciences humaines et sociales, il a provoqué ou encouragé, au sein de l’Institut de filmologie, des recherches et réflexions d’origines différentes, comme celles de Galifret, Zazzo, Wallon, Musatti, Friedmann, Francastel, Souriau, Sadoul. Par ailleurs il a tenu à affirmer l’originalité du « fait filmique » par rapport au « fait cinématographique » : le « fait filmique » c’est l’élément radicalement nouveau apporté par la projection sur écran d’images successives selon une vitesse donnée ; le « fait cinématographique » concerne l’industrie du cinéma, la constitution de publics, l’imaginaire social, les contenus des films dans la mesure où ils peuvent être analogues aux contenus des romans ou porteurs de mythes déjà préexistants dans d’autres moyens d’expression […] les deux concepts frontières sont le film et le cinéma. La seconde conception tend à une multi-approche du cinéma comme phénomène total. La première tend à isoler, formaliser une relation finalement psycho-physiologique entre le spectateur et une certaine structure du discours filmique46. »
Morin publie ces lignes en 1962 alors même que l’aventure de l’Institut de filmologie à laquelle il a participé depuis dix ans, en tant que chercheur du Centre d’Études Sociologiques, en tant qu’auteur de la Revue Internationale de filmologie, en tant qu’enseignant en chaire de sociologie du cinéma à la Sorbonne, dans le cadre du diplôme en cinéma décerné par l’Institut, prend fin en banqueroute, selon un scénario, pour reprendre les mots de Martin Lefebvre, digne d’un roman policier47. Avant que Cohen-Séat, proche de Violette Morin, laquelle occupe le poste de secrétaire de rédaction de la RIF, ne soit contraint à prendre la fuite au début des années 196048, ce qui installe une chape d’oubli sur cette tentative novatrice d’un enseignement-recherche sur le cinéma49, l’Institut de filmologie avait offert à Morin et à de nombreux autres chercheurs et professionnels un lieu d’échanges et d’expérimentations internationaux capable de générer ou d’accompagner des recherches pionnières sur le rapport entre cinéma et phénomènes cognitifs tant en physiologie, qu’en sciences humaines et sociales.
Dans ses articles publiés dans la Revue Internationale de Filmologie, Edgar Morin, loin d’adopter les présupposés behaviouristes qui guident l’essentiel des travaux de l’Institut, inscrit ses recherches dans le sillage des enquêtes de Lazarsfeld50 mettant l’accent sur le pouvoir du récepteur c’est-à-dire du public, c’est-à-dire du corps social lui-même car « comme le dit Berelson », écrit-il, « les effets sur le public ne sont pas en conséquence et en relation directe avec les intentions de celui qui communique : les prédispositions du spectateur peuvent bloquer ou modifier l’effet attendu, voire provoquer un effet boomerang (c’est-à-dire contraire aux intentions de la communication)51 ». Ce qu’il explicite dans Le cinéma ou l’homme imaginaire52 : « Certainement, il y a passivité dans ce sens que le cinéma ouvre sans cesse les canalisations où la participation n’a qu’à s’engouffrer. Mais en fin de compte, la trombe irriguante vient du spectateur, elle est en lui. Sans elle, le film est inintelligible, incohérente succession d’images, puzzle d’ombres et de lumières […] le spectateur passif est également actif ; comme dit Francastel, il fait le film autant que ses auteurs53. » C’est sur ces phénomènes de participation du spectateur au film que s’ouvre la première partie du Cinéma, un art de la complexité qui réunit l’essentiel des articles de Morin parus dans le cadre de ses recherches à l’Institut de filmologie. Le titre en est : « Catharsis/Mimesis/Psychosis ».
« Au cinéma notre âme erre comme nos ancêtres erraient dans les jungles et les forêts vierges ; comme eux, plus qu’eux, elle se nourrit de sacrifices humains innombrables ; elle se retrouve en sa propre obscurité, dans les angoisses et les périls de la nuit ; elle se complaît dans les bas-fonds des villes, images de ses propres bas-fonds…54. » C’est ainsi que Morin parle du cinéma dans son Journal de 1963, après quelques dix années passées à l’étudier et à publier de nombreux articles à son sujet, pour l’essentiel présentés dans Le cinéma, un art de la complexité. De média le cinéma est ainsi devenu médium, ce par quoi le spectateur fait chemin vers son « moi » : « Pour descendre vers les cavernes de l’intérieur, il faut d’abord s’envaser dans les moiteurs touffues, les colloïdes, les algues de l’âme avant de trouver la faille, l’orifice d’où l’on s’enfonce au long de galeries et de labyrinthes. Alors on doit progresser interminablement parmi les ombres55. » La séance de cinéma est ce moment où s’accomplit une descente aux enfers, sorte de divine mimesis conduisant à la rencontre incertaine avec « Le Vif du Sujet56 », sa zone « affective » : « Nous savions que le cinéma était fils, frère, des jeux d’ombres sur les cavernes, nous avions appris que la vie était peut-être jeu d’ombres sur une caverne, mais nous commençons à découvrir que la caverne est davantage en nous que nous dans la caverne. C’est en nous que s’agitent les ombres venues d’ailleurs57. » Dans ce chapitre sur « les cavernes de l’homme » Morin associe étroitement ses recherches sur la sociologie du cinéma à celles qui lui sont antérieures, sur l’anthropologie de la mort58. Comme si le cinéma n’était rien d’autre que le terrain de validation et de jeu pour les concepts universaux mis à au jour dans l’Homme et la mort : celui du double et celui de la métamorphose.
L’homme et la mort est l’ouvrage publié en 1951 qui légitime l’entrée de Morin au CNRS. Il relève tout à la fois du souci biographique (perte de la mère, pertes issues de la guerre et de la déportation), du plaisir du romancier (les récits originaires) et de la rigueur du chercheur : « L’idée me vint de traiter de la mort d’un point de vue à la fois anthropologique, social-historique et biologique, c’est-à-dire de considérer la mort comme un phénomène humain total59 » écrira-t-il dans Science avec conscience60. C’est d’abord l’ouvrage par lequel Morin s’affirme en tant qu’anthropologue, avec pour ambition l’invention d’une anthropologie générale, son « obsession continue, toujours différée depuis 195161 » écrira-t-il plus tard. Armé de la notion de « participation » telle que la propose Lévy-Bruhl62, qui lui semble insuffisante, Morin aimerait alors accoucher d’une pensée (d’une Méthode dira-t-il plus tard) susceptible d’éviter le piège hégélien de l’abstraction et de la réification de l’humain, tout en conservant la dialectique de l’Un et du Multiple. Il aimerait penser dans l’après-coup de Marx et de Freud, hors-champ explicite de son approche philosophique du champ de la mort et du cinéma, tout en gardant pour guide Héraclite et son fleuve, dont les deux rives opposées tiennent en tension le flux, celui du Devenir.
L’anthropologie post-freudienne de Morin tire son origine de la lecture des récits mythologiques et des descriptifs des rituels dédiés aux morts, auxquels sont associées d’autres études : les romans de Dostoïevski, les écrits de Georg Simmel63, ceux de Freud, d’Otto Rank64, de Sandor Ferenczi65 et de Carl Gustav Jung66 (psychanalystes et psychiatres proches et dissidents de Freud) ; sans oublier les textes de Roger Caillois67 et de Georges Bataille (qui fera une recension élogieuse de l’ouvrage)68. De cette investigation rigoureuse Morin dégage donc deux universaux anthropologiques : le double et la métamorphose.
Le « double » est pour lui "le noyau de toute représentation archaïque concernant les morts"69 : la croyance en la capacité des morts à ne pas disparaître tout à fait, à continuer à habiter le monde autrement, sous forme de fantôme, de spectre, d’ombre, de reflet, est largement répandue parmi les vivants ; comme si les vivants conservaient ainsi le contact avec leurs défunts ; comme si, à l’inverse, les morts voulaient ainsi hanter le quotidien des vivants. Le second universel anthropologique est une croyance opposée à celle du double : c’est la mort comme moment transitoire, passage pour retrouver le grand "tout" du cosmos, avant de renaître sous une autre forme. C’est l’idée d’une métamorphose, d’un retour aux eaux-mères, une sorte de régénérescence, un bain rituel comme un Mikvé cosmique. Avec l’éternel retour et l’éternel recommencement, le double et la métamorphose, l’humanité s’est ainsi dotée d’un accès imaginaire au « contenu préhistorique de la mort : c’est lui que nous retrouvons dans nos rêves, nos fantaisies éveillées, à l’heure du danger et de la douleur, dans notre esthétique […] il camoufle, dissout, enrobe, endort notre mort. Il la transforme toujours en images, en métaphores de la vie70. »
C’est à l’étude de ces « fantaisies éveillées », venues de notre sensibilité archaïque, infantile, onirique que Morin consacre ses recherches dès lors qu’il intègre le CNRS. Ce versant anthropologique vient doubler celui plus sociologique, mené à l’Institut de Filmologie. Le cinéma est alors ce medium qui par la mimesis actualise le double et la métamorphose dans le monde contemporain de la technique, c’est lui qui active la puissance des mythes. L’universalité des deux concepts est transposée dans l’histoire du cinéma : dès la fin de 1896 avec Méliès et ses techniques de surimpressions et de dédoublement, le cinématographe quitte ses prétentions d’objectivité scientifique pour entrer dans l’univers magique du cinéma. « Pourquoi le film ? » demande Morin. « Sans doute parce qu’il était déjà dédoublement des êtres et des choses, parce qu’il était déjà l’univers des doubles71. » Cela n’est pas sans faire explicitement écho à ce qu’écrit Jean Epstein dans Le cinématographe dans l’archipel : « Les transparences du cinématographe ne vont pas si droit au fond de l’âme que celle de la mort. Mais elles s’en approchent dans le demi-jour, dans la mi-chaleur de la vie […] la mort nous fait ses promesses par cinématographe72. » Le dédoublement (pouvoir être ici et là simultanément) et la métamorphose (pouvoir être autre et demeurer soi) proposent au spectateur de cinéma un support pour ses projections-identifications, promesse momentanée d’amortalité.
Pour Morin, de même que pour Epstein, dont l’œuvre, avec celles de Béla Balázs et d’Eisenstein nourrit la pensée morinienne, « le ciné est psychique73 » : « ce film m’a insufflé avec une intensité inouïe le sentiment d’un berger pauvre, qui n’a pour seule propriété que son troupeau ; mais en fait ce film va chercher une structure mentale qui est en moi, il la fait émerger de son sommeil, de son secret, et c’est là le ressort profond de mon émotion, de mon identification74. » En rendant ainsi compte de sa sensibilité de spectateur à la projection du film de Vittorio de Seta : Bandits à Orgosolo75 Morin tente de décrire la complexité de son expérience. En effet tout se passe comme si le cinéma créait un univers deux fois double : d’un côté il est bien le double « d’un univers semblable à celui qui enveloppait l’humanité archaïque », un univers magique ; cependant « l’apport de la sensibilité magique n’est pas à prendre au pied de la lettre : l’esthétique croit à ses mythes sans y croire76. » Car de fait, simultanément, le cinéma est le « double d’un univers créé esthétiquement, médiatisé, produit par la technique et la conscience rationnelle77. » L’univers du cinéma est ainsi « un univers fantôme doté d’effet de réalité78. » Chaque spectateur de cinéma est alors confronté à une sorte d’expérience principielle : il « se » perd ; il quitte son identité pérenne, il devient « autre » tout en sachant que tout cela n’est que dispositif technique ; il est là et pas là, ceci et pas ceci ; captivé et rationnel à la fois ; expérience provisoire mais bien réelle d’une condition humaine hystérique79, trouée, finie, paradoxale ; ou pour le dire avec les mots de Gorki « la réalité de l’homme est semi-imaginaire80. » « L’homme imaginaire et l’homme pratique (homo faber), sont les deux faces d’un même être de besoin81. »
L’anthropologie post-freudienne de Morin évoquée en amont se double ici d’une anthropologie post-marxiste, celle qui retient de Marx l’aptitude de l’Homme à générer et à régénérer toutes les qualités humaines, les virtualités non encore réalisées, le devenir produit par la mise en tension de l’irréel et du réel. Pour Morin l’homo faber du cinéma devient concret par la photogénie. Le visage filmé est une véritable incarnation. Le gros plan se révèle le miroir du monde qui l’entoure. Cette dimension cosmographique du cinéma se pense avec Béla Balázs dont Morin avait lu les premiers articles traduits en français dans Parallèle 5082 et qu’il aime citer : « Si vous voulez montrer une grande civilisation, un grand progrès technique, montrez-le dans l’homme qui travaille : montrez son visage, ses yeux, et ils diront ce que cette civilisation signifie, ce qu’elle vaut83. » Dimension qui pour Morin sera centrale dans le tournage de Chronique d’un été84 en allant filmer le travail, selon lui part maudite du film occidental : « Si dans les films soviétiques le travail est exalté comme la joie même de vivre […] ne nous hâtons pas d’opposer deux civilisations, celle où le travail est une joie et celle où il est une servitude, l’une qui valorise la zone maudite, l’autre qui l’ignore85. » À sa demande le chef opérateur Raoul Coutard tournera dans les usines Renault les séquences de Chronique d’un été qui présentent les ouvriers en pause, visages et corps au plus près de la caméra. Car pour Morin comme pour Balázs « le film nous montre, par ses moyens micro-physiognomiques (gros plan), ce qui dans nos visages est de nous et ce qui est le lieu commun de notre famille, nation ou classe86. » Le cinéma n’est pas seulement un divertissement pour Ilotes. Bien au contraire : « Le cinéma est le reflet de toutes les multiplicités humaines, il en est le miroir d’humanité, un phénomène humain total87. »
« Nul ne peut dire à l’avance si tel film reflète des réalités ou des fantasmes sociaux, s’il est un document ou une poétisation, un miroir de rêves ou de réalité. Ou plutôt tout film est à la fois l’un et l’autre88. » Ainsi débute un tapuscrit intitulé « Le contenu des films » qu’Edgar Morin interrogé89 identifie comme un possible brouillon des deux premiers chapitres du tome 2 du Cinéma ou l’homme imaginaire, dont il avait annoncé la parution à la fin de son ouvrage : « Il nous faudra, avant d’envisager le rôle social du cinéma, considérer le contenu des films dans leur triple réalité anthropologique, historique, sociale, à la lumière toujours des processus de projection-identification90 ». Jusqu’à aujourd’hui Morin ne publiera pas le résultat des enquêtes engagées dans les années 1955-1957, dont l’objectif était d’alimenter ce second tome. Seuls des fragments paraîtront dans des revues. En revanche le présent ouvrage publie l’essentiel des brouillons tapuscrits retrouvés dans les archives du Centre Edgar Morin91. Ils traitent de trois grandes thématiques : « L’étranger dans le cinéma » ; « L’amour dans le cinéma » ; « La mort dans le cinéma ». Chaque enquête analyse plus de deux cents films dont la production s’étale entre les débuts du cinéma et le milieu des années cinquante.
L’étude des « races, cultures et nations étrangères dans les films » avait été lancée à l’occasion du congrès de filmologie de 1955. Morin, qui coanimait alors avec Georges Friedmann et le psycho-sociologue américain Otto Klineberg le groupe de travail « Étude de la représentation de l’étranger, celle du méchant et celle de l’Histoire dans les films », avait présenté une note programmatique : « De la méthode en sociologie du cinéma92. » Il y affirmait : « L’élucidation sociologique pose des problèmes de méthode essentiels […] d’une part, les films véhiculent et reflètent des mœurs et usages, des valeurs, des tabous, des pratiques réelles et par là ils constituent des documentaires, de véritables archives sociologiques qui peuvent nous renseigner sur la vie et le fonctionnement même d’une société […] d’autre part les films proposent des modèles idéaux de conduite (avec les stars) ; ils donnent à voir des situations imaginaires, et par là leurs structures romanesques peuvent correspondre à des structures oniriques ou magiques93. » Il conclut : « La plupart des films sont des cristallisations complexes de réalité sociale et d’imaginaire social : réalité et imaginaire étant l’un et l’autre objectivés dans le film et objectivement susceptibles d’études94. » C’est à l’examen de ces cristallisations complexes que s’engagent les participants du groupe de travail du Congrès de filmologie pour comprendre la manière dont, selon leurs nationalités, les films « regardent » l’étranger.
Cet objectif n’est pas sans rappeler le programme du MOMA et de la New School for Social Research de New York95, évoqué plus haut, ou celui qu’avait piloté Ruth Benedict puis Margaret Mead intitulé « Columbia University Research in Contemporary Cultures96. » Pendant la guerre on y avait là aussi étudié la littérature, les films et plus largement l’influence des images sur le public dans le but de mieux comprendre la culture de ceux que combattaient les Alliés. En période de guerre froide ces programmes ne sont pas dénués de visée expansionniste américaine : au-delà de l’influence de l’industrie hollywoodienne il s’agirait alors d’exploiter les zones de fragilité des cultures indigènes que les travaux des anthropologues rendent visibles par-devers leurs études scientifiques ; ce que Peter Mandler appelle la Culture-Cracking97. Dans cette perspective les films peuvent se révéler un excellent terrain d’observation. Dès lors les soutiens institutionnels et occultes dont a bénéficié l’Institut de filmologie peuvent se comprendre comme la tentative pour la recherche européenne, dans un contexte post plan Marshall, de lancer ses propres programmes d’études sur le cinéma. D’où l’essor d’un certain intéressement pour les études de cinéma financées sur fonds publics ou privés, tels les travaux menés à l’Institut de filmologie ou pour ceux réalisés dans le cadre de l’Association Internationale de Sociologie qui, de 1956 à 1959, sous la présidence de Georges Friedmann, lance des enquêtes internationales sur le cinéma dont Morin prend la direction98. Bien souvent l’Unesco est partenaire de ces programmes et participe au financement des études, telles celles du théoricien du cinéma Siegfried Kracauer, de la psychanalyste pour enfants Martha Wolfenstein ou du socio-anthropologue Nathan Leites, trois auteurs que Morin cite abondamment dans ses enquêtes sur le cinéma. Lui-même n’est d’ailleurs pas sans connaître l’Unesco : au début de la décennie cinquante il a assisté Joffre Dumazedier dans l’étude de l’expérience française des télé-clubs99 ; il est par la suite devenu proche d’Enrico Fulchignoni, alors responsable du cinéma à l’Unesco.
Ce dernier, avec Klineberg, est d’ailleurs bien présent dans le groupe de travail du congrès de filmologie dont l’objectif est d’étudier les archétypes et les stéréotypes à l’œuvre dans les films.
L’article de Siegfried Kracauer « Les types nationaux, vus par Hollywood100 » paru en langue française dans la Revue Internationale de Filmologie, en même temps que la traduction de la préface de son ouvrage De Caligari à Hitler, avait ouvert la voie. Cet ami d’Henri Langlois et de Gabriel Marcel, proche de Walter Benjamin, qui pendant son exil parisien avait collecté les références filmiques de son futur Theory of film101, n’était pas présent au congrès, bien qu’invité. Les participants du groupe de travail, et Morin en particulier, ignoraient-ils le contenu de l’article de Kracauer sur la représentation des Anglais et des Russes dans les films hollywoodiens ? Plus spécifiquement Morin connaissait-il, par Clara Malraux dont il était proche, l’œuvre européenne de Kracauer et en particulier son Ginster dont elle avait traduit des passages en 1933 ? Avait-il eu écho de la réputation de Kracauer dans le milieu de la cinémathèque française ? On sait que Morin a cherché à rencontrer le philosophe et sociologue allemand (deux lettres de Morin dans le fonds Kracauer le confirment102) à la fin des années cinquante. Sans succès : un courrier de Kracauer en date du 1er mai 1962103, réponse à l’envoi par Morin de l’ouvrage Chronique d’un été104, le confirme : les deux hommes ne se sont jamais croisés.
L’œuvre de Kracauer, réduite à l’ouvrage de 1947, est néanmoins bien présente dans les écrits de Morin, ce dernier faisant souvent reproche à l’auteur de De Caligari à Hitler d’imposer au film une lecture systématique et après coup de l’Histoire, mésinterprétation couramment répandue en France par méconnaissance des textes allemands de Kracauer et par l’assimilation rapide de ce dernier à une École de Francfort critique de la culture de masse105. Cependant dans la France de l’après-guerre, Morin est vraisemblablement le premier à s’intéresser d’aussi près à l’ouvrage de Kracauer et à en proposer une lecture savante. Ainsi dans sa « méthode » pour analyser les contenus latents des films, à la question centrale du rapport du film à l’Histoire, de sa plus ou moins grande perméabilité à ce qu’il nommera plus tard l’Esprit du temps106, Morin prend le parti d’opposer d’une part Gilbert Seldes, défenseur de la culture populaire américaine devenu un pessimiste de la culture de masse, qui affirme dans The Great Audience107 l’insensibilité du film à la réalité historique et sociale, et d’autre part précisément Kracauer qui, selon lui, défend « la sensibilité extrême quasi télépathique » du film à l’histoire en train de se faire. Pour Morin, le plus souvent, « c’est simultanément que nous trouverons la vérité de Seldes et celle de Kracauer, l’inélasticité et l’élasticité, le cosmopolite et le national108. »
Cette manière novatrice d’envisager l’analyse des films n’est pas sans avoir quelque convergence avec celle proposée par Kracauer dans son œuvre majeure, Theory of Film, méthode déjà présente dans l’article qu’il consacre au traitement de l’étranger dans les films hollywoodiens. Il analyse alors les tensions entre ce qu’il appelle le facteur subjectif et le facteur objectif, présents dans le matériau film. Le résultat de son étude montre que ce n’est pas l’industrie hollywoodienne qui impose dans les films ses propres représentations des étrangers. Si le facteur objectif (la connaissance des peuples étrangers) est minime, c’est pour laisser place aux représentations inconscientes (facteur subjectif) des spectateurs anonymes. Constatons que la « méthode » Morin d’analyse propose elle aussi de s’intéresser aux contenus latents des films en repérant les oppositions entre ce qu’il nomme les phénomènes répétitifs secondaires, les stéréotypes, le plus souvent signes issus de déterminations historico-sociales devenus langage de la technique cinématographique (on reconnaît le bon, le méchant, le fourbe etc. par des éléments concrets, reconnaissables à l’image et au son, d’un film à l’autre), et d’autre part les phénomènes répétitifs primaires, qu’il nomme archétypes : l’archétype est ce qui relève de l’homme en devenir, de l’histoire de la société, il est un héros. Morin construit petit à petit une théorie du film qui s’emploie à identifier les sources de tension entre éléments opposés, porteurs potentiels de dialectiques multiples, à l’œuvre dans chaque film sans que, pour autant, le film devienne le lieu d’une résolution. Le film se pense comme description de ces éléments contradictoires dont l’exposition par le film ouvre à ce qui n’est pas montré, rationnellement décidé.
Si Kracauer et Morin partagent l’idée du film saisi comme terrain de jeu de forces contraires, ils se rejoignent d’autant plus dans le privilège que chacun d’eux accorde à la matière filmique : « elle se présente à la limite de la matérialité, semi-fluide, en mouvement »109, un matériau vivant. Mieux encore : l’étude attentive de l’œuvre de chacun des auteurs intrigue par la prédilection commune du thème de la mort « véritable champ de bataille entre les archétypes tragiques traditionnels ou modernes et l’influence culturelle hollywoodienne qui enrobe, esquive la mort et finalement l’escamote dans la fin heureuse110. » Quand Kracauer écrit: « L’écran marque une prédilection particulière pour tout ce qu’on oublie, ce qu’on néglige ordinairement111 », Morin précise : « Certains films apportent non pas la vision de la vie réelle, mais l’image de ce qui est absent de la vie réelle112. » Pour tous deux la mort se matérialise dans la photogénie113.
L’analyse des contenus des films doit être à la fois historique, sociologique, anthropologique ; seule cette méthode, Morin y insiste, « a des chances de se situer dans la temporalité vraie des contenus latents de l’imaginaire, les films y compris, étant bien entendu que par mille porosités les contenus latents — et naturellement les contenus manifestes, les mêmes en somme — participent à l’actualité, l’éclairent ». Ces lignes écrites au milieu des années cinquante mettent en évidence le fil rouge qui guide le travail de Morin : comprendre ce qui est potentiellement à l’œuvre dans les apparences du réel, ce qui le fait frémir. Il reprend à son compte l’idée d’Arlaud pour qui « Le cinéma n’est pas le miroir mais la graphologie des peuples »114 et celle de Béla Balázs pour qui « les fantaisies (rêves éveillés) et la vie affective du peuple se trouvent fécondées et mises en forme par le cinéma115. » Mais il s’inquiète : « Pouvons-nous déchiffrer ? […] Nous n’en avons ni les pouvoirs, ni les éléments. Il s’agit d’indiquer des principes, de fixer des lignes de forces élémentaires, grossières, préliminaires à une phénoménologie du film, mais incapables de pénétrer dans le substrat culturel116. » Il ajoute dans une envolée prémonitoire : « Mais tôt ou tard on abordera enfin sérieusement ces problèmes […] car il n’y aura d’histoire totale que le jour où les cultures seront étudiées corrélativement dans leur économie, dans leur vie quotidienne, dans leurs fantaisies117. » Ce sera le temps de La Méthode118.
Auparavant entre 1956 et 1962, dans l’accompagnement de la publication de ses trois ouvrages majeurs, Le cinéma ou l’homme imaginaire, les Stars et l’Esprit du temps, Morin déploie ses activités de déchiffrement de l’actualité au jour le jour en consacrant son temps d’écriture aux revues, très nombreuses, pour un lectorat national et international. Il s’entoure de jeunes collaborateurs dont certains fréquentent les Cahiers du cinéma (Marilou, future protagoniste de Chronique d’un été) et le milieu de ce qui prendra nom de Nouvelle Vague (Suzanne Schiffman est un temps son assistante). C’est dans La Nef, revue fondée en 1944 par Lucie Faure et Raymond Aron, que Morin tient chronique des sorties de films et des festivals à partir de 1957 ; il devient dès lors officiellement « critique de cinéma », par ailleurs invité dans des émissions de radio, comme celle de Jean Amrouche119 ; il est momentanément critique au Masque et la plume et fait rapidement partie des jurys du CNC. Cependant bien qu’il apprécie fortement Bazin qu’il nomme « critique de génie », Morin semble peu enclin à participer aux débats et polémiques qui mobilisent le milieu du cinéma. Ce n’est pas avec ses collègues critiques qu’il converse à bas bruit : l’interlocuteur secret, discret, distant mais pérenne nous paraît être Roland Barthes. Il est troublant de relire l’hommage sensible que rend le futur auteur de La Chambre claire à celui de L’Homme et la mort : « c’est un peu comme si tu l’avais écrit exprès pour moi tant je me sens solidaire120. »
Avec un peu d’attention on découvre ces allers-retours entre Barthes et Morin au détour des publications de l’un et de l’autre dans des journaux : Barthes fait paraître régulièrement des articles dans Les Lettres Nouvelles entre 1954 et 1957, réunis et connus par la suite sous le titre de Mythologies. Dans la même veine Morin prend le relais, à sa façon, avec ses articles sur le cinéma qui paraissent dans La Nef121. Barthes se passionne pour les Tests122 et expériences de Cohen-Séat, après que Morin s’est éloigné de la filmologie. Non point que les deux hommes s’influencent l’un l’autre ; ils se font confiance. L’impression est celle d’un dialogue stimulant où chacun cherche à préciser peu à peu ce qui le « tient » dans l’étude des images. Images fixes pour Barthes (y compris lorsqu’il analyse des films123), dans lesquelles il découvre des « messages » pour mieux dénoncer l’emprise subtile que ces messages opèrent. Images en mouvement pour Morin, car pour lui, c’est le mouvement et la photogénie des images qui ouvrent le spectateur à son propre mouvement réflexif et cognitif, à « la double et fondamentale attitude spectatorielle, projection-identification, qui est de se fuir et se retrouver, s’échapper et se connaître124. »
À cet échange amical et fécond entre Morin et Barthes, qui s’étend au théâtre comme à la littérature (est-ce affaire de « doubles » inversés, d’un alter ego ?), s’associe Violette Morin, proche de l’un et de l’autre. Les trois publient chacun leur tour des travaux sur la « vedette » : Edgar avec les Stars, Violette avec « Les Olympiens »125 et Roland dans son article sur « La vedette : enquêtes d’audience ?126 » ; chacun fait ainsi entendre sa différence. Ce compagnonnage est fidèle : c’est de manière alternée, sous la direction de Georges Friedmann et avec la collaboration de Violette, qui en 1970 deviendra Violette Naville, que Barthes et Morin assureront pour un temps la direction de la Revue Communications, revue qui accompagne le nouveau laboratoire du CNRS, le CECMAS (Centre d’Étude des Communications de Masse) que Friedmann, Barthes et Morin fondent en 1960127. Si Barthes y accueille bientôt Christian Metz et le courant sémiotique128 Morin lance quant à lui d’ambitieuses enquêtes internationales sur le cinéma qu’il confie aux nouveaux recrutés du CECMAS, Claude Bremond (ancien secrétaire particulier de Cohen-Séat) et Évelyne Sullerot (alors cofondatrice du planning familial qu’il avait rencontrée dans les réseaux d’anciens résistants). Ces derniers constituent et analysent les corpus de films sur le thème du « Héros dans les films », ceux de la Nouvelle Vague129 et ceux de différents pays européens, afin d’en dégager les archétypes et stéréotypes.
Cependant l’expérience fondatrice de Morin menée de front avec ses recherches sur le cinéma est celle de la revue Arguments, aventure politique, intellectuelle, affective pour lui et sa « famille » de la Rue Saint Benoît ; mais pas seulement : Barthes fait également partie des membres fondateurs de la revue. Conçue comme un véritable laboratoire pour renouveler « la réflexion théorique de la gauche130 » après l’éclatement du stalinisme, Arguments, créée sur le modèle de la revue italienne Ragionamenti, porte le sceau d’un double engagement : la naissance du premier comité contre la guerre en Afrique du Nord, que Morin fonde en novembre 1955 avec Robert Antelme, Dionys Mascolo, Louis-René des Forêts, Marguerite Duras et Violette Morin, et, à l’automne 1956, la dénonciation « de l’agression soviétique contre la révolution hongroise 131 », quand les mêmes prennent parti contre l’Union Soviétique (et contre ses avocats, une bonne partie de l’intelligentsia française de gauche qui ne dit mot). Ils créent alors un nouveau comité et rencontrent Claude Lefort, puis Cornelius Castoriadis et la revue Socialisme ou Barbarie (dont un des membres, Jacques Mothé, sera protagoniste du film Chronique d’un été). Morin, Jean Duvignaud et Kosta Axelos sont les animateurs ardents d’Arguments jusqu’en 1962, fin de la guerre d’Algérie. Au cours de ces années de lutte, alors que la revue accroît ses activités internationales et militantes, ses membres, confrontés à des engagements dissidents et conflictuels entre partisans de Messali Hadj (Morin) et du FLN (Mascolo), font l’expérience d’une vie de groupe à la recherche d’une « vérité » ; ce que l’on constate dans les comptes rendus des comités de rédaction de la revue, lesquels se tiennent habituellement autour de repas, accompagnés de bons vins.
Cette commensalité si importante pour Morin n’est pas sans rappeler un des dispositifs du film Chronique d’un été, dont le tournage en 1960 s’organise autour de repas copieux et arrosés, entre amis qui s’interpellent sur des sujets personnels et militants, à propos de leur compréhension de l’actualité du moment. Cela se passe alors dans l’appartement de Marceline Loridan, assistante et protagoniste du film (Morin l’avait rencontrée trois ans auparavant lors d’une fête donnée chez le peintre Michel Thompson). Dans le film co-réalisé avec Jean Rouch, Morin reproduit cette fraternité intellectuelle, rugueuse et exigeante, découverte avec Arguments, qu’il repère, mise en scène par Lionel Rogosin, dans le film Come Back Africa. Dans l’une des séquences de ce film des militants noirs anti-apartheid d’Afrique du Sud boivent autour d’une table dans un café clandestin et s’écoutent mutuellement parler de leurs manières différentes d’envisager l’action politique et révolutionnaire ; à la recherche d’une compréhension mutuelle. Les gros plans sur leurs visages donnent à voir leur engagement personnel, la puissance de la pensée et le potentiel subversif de ces échanges, que vient incarner le corps photogénique de Miriam Makeba qui chante : sa voix « pense » et le spectateur « agit ». Projection/Identification/Transfert de Morin vers cette scène dont il aime à dire qu’elle fut inaugurale pour lancer l’idée de Chronique d’un été.
« Les thèmes de la possession, de l’envoûtement, de la double personnalité sont à la racine des intrigues les plus courantes des films d’amour132. » L’analyse du contenu des films confirme ce qu’Epstein avait si bien décrit et que Morin développe dans Le Cinéma où l’homme imaginaire : le cinéma entretient avec la magie un rapport nécessaire et ancillaire. Cette pensée trouve un écho singulier quand Morin assiste au festival de Locarno, en juillet 1955, à la première projection des Maîtres Fous de Jean Rouch133 : aujourd’hui encore il se souvient de l’émotion jadis ressentie. Jusqu’alors Morin ne s’était pas beaucoup préoccupé de film ethnologique. Certes s’il n’avait pas suivi les cours de Leroi-Gourhan qui avait fait paraître en 1948 un article sur le film de chercheur, il avait néanmoins été membre fondateur du Comité du Film Ethnographique en 1952 (l’épouse de Jean Laude, membre du Centre d’Études Sociologiques l’avait alors présenté à Rouch). Il s’était par la suite intéressé aux films liés à l’expérience des télé-clubs, réalisés par Roger Louis dans le cadre de l’émission État d’urgence, qui traitaient des bouleversements à l’œuvre dans les campagnes françaises ; ce qu’il explorera plus attentivement quelques années plus tard en participant à la grande enquête de Plozevet134. Cependant son champ d’étude était resté jusqu’alors et pour l’essentiel le film de fiction. En effet ce dernier détient, aux yeux de l’analyste de la société qu’est le critique de cinéma Morin, un potentiel plus grand que les deux autres genres dont il est issu. Selon lui, à l’origine, le cinéma crée ses formes soit sur un versant documentaire, soit sur un versant fantastique, d’un côté les frères Lumière, de l’autre Méliès ; le cinéma de fiction naît plus tardivement, — comme une sorte de synthèse hégélienne entre les deux pôles originaires — : il tire le fantastique vers la fantaisie et le réel documentaire vers la fiction vraisemblable. Par cette origine syncrétique le film de fiction mieux qu’un autre est susceptible de porter en lui, de manière rationnelle et latente, les stéréotypes et archétypes d’une société ; ce qu’il analyse dans les inédits publiés dans ce livre ainsi que dans les Stars, ouvrage qui apporte à Morin une notoriété pérenne.
Les Maîtres Fous, à la fois film de fiction et film documentaire, mais ni l’un ni l’autre, propose une forme singulière qui capture la curiosité de Morin. Il n’est pas le seul : l’Unesco, avec Enrico Fulchignoni, Jacqueline Veuve en Suisse, Luc de Heusch en Belgique, Mario Ruspoli, Jean Rouch et quelques autres sont à l’affût de films qui signent le renouveau du film ethnographique. Morin sera dès lors de toutes les sorties festivalières du Comité du Film Ethnographique, parmi lesquelles le premier Festival du film ethnographique et sociologique de Florence135, déclencheur du projet du film Chronique d’un été en décembre 1959. Morin se tourne alors vers le réalisateur des Maîtres Fous et de Moi un Noir pour, avec l’aide financière de son ami producteur Anatole Dauman, lui proposer de l’accompagner dans son premier essai à la réalisation cinématographique.
La rencontre entre Morin et Rouch est bien loin d’être opportuniste : ils se retrouvent à faire route ensemble à partir de chemins différents mais connexes. On peut voir en effet dans Les Maîtres Fous comme une incarnation de la théorie morinienne du cinéma. Il est vrai que le film parle de magie et d’initiation, d’envoûtement et de dédoublement, d’anthropologie (mythes primitifs) et de sociologie (luttes anticoloniales), thèmes largement présents dans les écrits de Morin. Mais il est possible d’aller plus loin en décelant dans la narration des Maîtres Fous une sorte de mise en image et en son de ce qui, pour Morin, relève de l’expérience intime du spectateur de cinéma, en général. Tentons donc de décrire ce qui se passe dans le film Les Maîtres Fous en parallèle avec ce qui se passe pour le spectateur anonyme qui va au cinéma :
Quand le film commence le spectateur assis dans la salle est dans un univers familier, pleinement conscient de sa présence au sein d’un dispositif connu, celui de la projection d’un film ; dans Les Maîtres Fous le films’ouvre sur la vie quotidienne de migrants qui cherchent du travail dans la ville d’Accra au Ghana. La vie prosaïque est ainsi le socle commun que partagent acteurs et spectateurs à partir duquel un certain voyage peut commencer. Les premiers, protagonistes du film, décident de quitter la description documentaire de leur vie quotidienne pour s’en aller célébrer le rituel dédié au culte des Haouka, au cours duquel, par la transe, ils s’identifient aux dieux qui les habitent. De même le spectateur assis dans le noir de la salle de cinéma se sent prêt pour le voyage : il donne son accord pour laisser là sa vie de tous les jours et accomplir un travail de projection et d’identification vers les personnages du film qu’il regarde sur l’écran. Cependant si les adeptes de la concession Mountyeba sont effectivement possédés ils ne le sont qu’en partie, car au moment du tournage le rite est déjà tombé en désuétude. C’est pour le Blanc qui filme que se joue cette mise en scène d’une possession. Il y a donc là double niveau de jeu, celui distancié du rite, celui politique vers celui qui tient la caméra, qui lui-même filme des figures de Blancs métamorphosés en esprits du culte.
De même dans la salle de cinéma le spectateur est consentant pour endosser les émotions de quelqu’un d’autre (le personnage sur l’écran), pour aller vers l’alter ou vers son double. Cependant il sait tout autant que cela est provisoire : il sait qu’il joue.
Il ne sert à rien de penser que tout ceci serait simple divertissement. Sortir du cinéma c’est, comme l’a bien noté Barthes136, sortir de l’hypnose, ce que font les acteurs du film de Rouch de même que le spectateur anonyme. A la fin du film chacun reprend le fil des jours, la vie prosaïque à nouveau, mais différemment ; il garde comme une trace de ses métamorphoses successives, comme si le monde était devenu plus habitable, momentanément… Dès lors on reconnaît aisément le parcours cathartique du spectateur morinien, toujours double, investissant la technique d’une aura magique ce qui soutient la croyance dans ses idoles, au point de s’y identifier ; mais sans y croire tout-à-fait : « Devant le double cinématographique chargé d’une majoration affective-magique, le spectateur de chair sent peut-être qu’il va voir les épreuves positives d’un monde dont il recommencerait depuis toujours l’interminable négatif. Dans ce sens, selon l’admirable formule de Paul Valéry, le cinématographe « critique la vie »137. » Est-ce cette troublante proximité entre ses écrits et ce film qui saisît Morin à la projection des Maîtres Fous à Locarno ? Comme s’il pouvait adresser à Jean Rouch les phrases que lui avait autrefois écrites Roland Barthes : « c’est un peu comme si tu l’avais écrit (filmé) exprès pour moi tant je me sens solidaire138 ». Comme si entre Rouch et Morin il y avait promesse d’un mouvement de l’alter vers l’ego et de l’ego vers l’alter.
Il est stimulant d’imaginer le tournage de Chronique d’un été comme un double et un renversement des Maîtres Fous. À présent on connaît bien les étapes de la fabrication du film, avec d’une part le journal de bord de Morin, notes de tournage et de montage publiées un an après la sortie du film139, et d’autre part avec les vingt-cinq émissions que France Culture a consacrées aux trente ans du film en 1991140, dans lesquelles chaque protagoniste - sauf Marilou - fait le récit de sa participation au tournage. Sans compter le travail conséquent des chercheurs, auquel il faut désormais ajouter deux œuvres qui s’attachent à « faire travailler » les rushes du film de 1960 : le livre de Frédérique Berthet141 et le film de François Bucher qu’Edgar Morin reconnaît comme le fantôme de celui dont il aurait aimé avoir fait le montage142. Reste, par-delà les polémiques143 qui accompagnent ce film, controverses orchestrées très tôt par le producteur et distributeur Anatole Dauman puis cinquante ans plus tard par son héritière144, qu’il est plausible de reprendre la trame des Maîtres Fous, film dont le titre désigne à la fois les maîtres de la folie et la folie des maîtres Blancs145, et de voir Chronique d’un été sous le signe de la théorie morinienne du cinéma146. Il y a d’abord le renversement des protagonistes : désormais ce sont des Blancs qui sont devant la caméra en situation cathartique (ce qui n’est pas sans signification en cette période de luttes pour les indépendances et de guerre d’Algérie). Soyons précis : eux aussi sont filmés dans leur vie quotidienne, eux aussi ont besoin de substances (le vin dionysiaque) pour échapper aux déguisements, aux masques sociaux auxquels ils adhèrent sans le savoir (stéréotypes) ; eux aussi entrent en transe sous l’œil du spectateur et deviennent acteurs, se métamorphosent, cherchent à habiter un archétype (cela n’est repérable que dans le film de Bucher). IL y a de surcroît la folie des Maîtres Blancs qui devient palpable. Morin mieux que Rouch est partant pour le voyage : tout au long du film, face caméra, au sens strict du terme, il « se défait ». À la fin de la cérémonie (le tournage) on attend une rédemption, que chacun reconnaisse ses doubles et ses métamorphoses, que le monde soit, comme dans Les Maîtres Fous, devenu plus habitable. C’est l’échec, mais il reste trace d’une expérience, et d’un film. Dès lors considérons que Rouch et Morin, - tous deux seront des Initiés, le premier en Afrique, le second au Brésil -, conduisent une sorte de cérémonie chamanique (ou sont conduits ?), dont l’ambition serait le passage initiatique d’une pluralité de stéréotypes (la diversité des individus engagés dans le film) vers l’archétype, la « vérité » de chacun.
Quel est donc l’enjeu de l’archétype ? Le Morin théoricien de cinéma a déjà répondu : pour lui cela ne renvoie pas seulement aux structures psychiques d’un Otto Rank, ni aux situations fondamentales intemporelles d’un Carl Jung ; la « vérité » ne se trouve pas dans la seule introspection psychologique. Au fond l’archétype serait ce qui relie l’individu à l’Histoire, saisie « à ce niveau fondamental où la pseudo-immobilité du pseudo-homme éternel est en fait le mouvement très lent et très profond de l’homme en devenir147. » C’est la puissance du devenir héraclitéen issue de sa proximité à la mort, car le feu d’Héraclite, pour vivre, a besoin d’engendrer la mort. C’est à ce prix que « ça » bouge.
Sous cet angle Chronique d’un été nous apparaît différemment ; plus proche d’un voyage de comédiens semblables à ceux du film de Théo Angelopoulos. Erratiques, par la grâce du plan-séquence les corps filmés entrent en remémoration, actualisation d’un passé toujours présent, celui de la Grèce contemporaine et celui de l’ancienne Grèce, celle des Atrides ; ils sont doublement doubles, en attente d’amour. « L’amour ? N’est-il pas indissolublement lié à la mort. N’est-il pas le lien même qui nous unit à l’espèce, qui nous empêche de nous fermer en monades individuelles, et qui nous pousse à accepter cette mort comme le Tristan Wagnerien148? » Mort, Vie, Amour, Devenir seraient donc la vérité paradoxale du film commercialisé sous le label « cinéma-vérité » et sous le titre Chronique d’un été mais dont le fil directeur fut non pas « le êtes-vous heureux » hollywoodien mais bien le si complexe « Comment vis-tu ? », « Comment te débrouilles-tu avec la vie ? »
Mais comment fait-on pour déchiffrer sa vie en présence de la caméra ? La commensalité est la première réponse proposée par Morin. « Nous nous déchiffrons réciproquement de nos costumes149 » avait-il écrit autrefois. De fait les séquences de repas, qui au regard du producteur sont des « essais », pas vraiment le film, restent la part la plus importante de Chronique d’un été. C’est que le film lui-même est devenu « essai ». C’était bien l’intention de Morin qui à la notion de « cinéma-vérité150 » ou de « cinéma direct » a très vite préféré celle de « cinéma-essai », dont il donnera une définition en 1966 à propos d’un film de Godard : « Dans le cinéma-essai le discours est véhiculé non par des concepts, mais par des fragments saisis sur le vif ou provoqués par le vif […] avec le film Masculin Féminin, nous sommes en même temps au-delà du réalisme de fiction et du cinéma-vérité documentaire, c’est pour moi la première réussite de ce cinéma-essai qui depuis des années se cherche151. » Cette préoccupation est toujours à l’œuvre aujourd’hui, et ce n’est pas de moindre intérêt de pointer la concordance entre la pensée morinienne sur le cinéma et les recherches très contemporaines sur le cinéma-essai152. C’était déjà la tentative de Chronique d’un été : avec Rouch, Morin s’accordait alors pour une approche expérimentale du tournage, faisant confiance à la dynamique entre fiction et documentaire, persuadé que « la réflexion part de l’effet de réflexion de la vie sur l’image cinématographique ». Morin réalisateur rejoignait alors Morin théoricien du cinéma…
Chronique d’un été est l’unique film réalisé (co-réalisé) par Edgar Morin. En 1964 il signe le scénario d’un film pour le réalisateur Henri Calef L’Heure de la vérité, dont il reste insatisfait. Auparavant, dans la suite de son premier voyage aux Etats-Unis au cours duquel il subit une longue hospitalisation et fait la rencontre déterminante du biologiste Henri Atlan, il avait commencé l’écriture de son Journal qui perdure jusqu’à ce jour, et s’était pris d’intérêt pour des recherches novatrices, concrétisées plus tard par la publication de l’ouvrage Le paradigme perdu : la nature humaine (1973). Au cours de ces années 1960 il s’investit dans la grande enquête pluridisciplinaire sur Plozevet – on y associe la réalisation de films à la recherche académique153 – avant de participer activement aux mouvements sociaux de 1968. Mais Morin n’en reste pas moins chercheur CNRS en cinéma, fréquente les festivals et réalise une émission de télévision sur le cinéma-vérité154 dans le cadre du Service de la Recherche de la télévision publique française dirigé par Pierre Schaeffer.
Pourtant après la fermeture de l’Institut de filmologie ce n’est pas lui l’enseignant en chaire de sociologie du cinéma à la Sorbonne qui participe à la mise en œuvre d’une formation spécifique à la réalisation de films documentaires en sciences sociales pour les chercheurs du Centre d’Etudes Sociologiques. C’est Pierre Naville. En août 1963, à Morin dont il est l’ami ainsi que sa femme Denise, traductrice de nombre d’auteurs dont Hölderlin dans la Pléiade155, Naville écrit: « N’oublie pas les projets de "section audio-visuelle" du Centre d’Etudes Sociologiques. Il faut qu’en octobre tu élabores un petit projet (objectifs, modes de réalisation, appareillage, crédits). Il y aura de l’argent […], on pourrait vraiment faire du neuf156. » Le destinataire de la lettre ne semble pas avoir donné suite car trois ans plus tard, en février 1966, Naville relance son ami: « J’ai repris l’idée dont nous avons parlé d’une section audio-visuelle au Centre d’Etudes Sociologiques (ou ailleurs), commencé à grouper des gens pour des discussions préliminaires, et je fréquente plusieurs centres (ORTF, ethnologie, pédagogie etc.). En mai on fera une réunion avec Jean Rouch, Piault157 et d’autres. Il faudra que tu y reviennes158. » C’est qu’entre temps venait de s’ouvrir à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes - sous l’autorité de Mario Roques déjà présent à la fondation de l’Institut de filmologie- le Laboratoire Audio-Visuel (LAV) créé en 1964 et dirigé par Rouch et Gilbert Rouget. Mais Naville, qui avec Henri Wallon avait lui aussi participé au premier Congrès de filmologie dès l’automne 1947, souhaite ne pas s’accommoder d’une pensée qui fait du film un « auxiliaire » 159 de la recherche, ce que Naville prête au LAV et qu’il appelle un « complément ». Bien au contraire. Son projet est de développer une démarche proprement psycho-sociologique : « je tente de poser la question d’une méthode d’investigation spécifique » se confie t-il à Morin à propos de la publication de son article dans la Revue Française de Sociologie160, texte qu’il souhaite présenter dans le séminaire de Morin. En véritable adepte de la « dispute » comme scène du travail scientifique il ajoute: « Je voudrais discuter des idées de Roland (proches des tiennes) ». Sous l’impulsion de Naville la section audio-visuelle du Centre d’Etudes Sociologiques prend son essor à partir de 1967161, accompagnant avec le LAV un courant fécond de chercheurs.es-cinéastes162. Ces derniers font leur apprentissage sous l’autorité cinématographique de Louis Boucher au son et de Roger Morillère163 à l’image lequel, opérateur de Jean Rouch pour le Comité du Film Ethnographique depuis 1955 - artiste-peintre de formation il connaissait Rouch depuis 1952 -, avait à ce titre tourné la majorité des séquences de Chronique d’un été.
Morin ne prend pas part à ces expériences scientifiques : à cette date il fait travailler les étudiants canadiens sur l’imaginaire mass-médiatique mis en œuvre dans l’Exposition internationale universelle de Montréal avant de se marier avec Johanne Harrelle, mannequin québécoise - elle fut le premier mannequin de couleur Noire du continent Nord-américain-, actrice - elle sera mise en scène par Jean-Marie Serreau -, rencontrée dans la suite de la projection du film de Claude Jutra A tout prendre au festival de Venise. Elle y jouait son propre rôle. Un film-essai qui enthousiasme Morin, y voyant là le Chronique d’un été qu’il avait autrefois fantasmé.
Morin s’engage alors dans d’autres interactions et rétroactions dont la moindre ne sera pas son séjour californien en 1969. Quelques années plus tard, dans un mouvement autoréflexif, il note: « Je marchais toujours en terrain découvert sans armure, sous les projectiles épistémologiques, mon seul viatique étant d’attendre toujours quelque chose du réel, de vouloir toujours ouvrir ma compréhension, d’essayer de pratiquer l’auto-examen et l’autocritique, ce qui ne s’apprend pas dans les manuels et dépend d’une autre chose mystérieuse, qui ne peut s’apprendre nulle part, ne peut jamais se reconnaître infailliblement, et qui est l’amour de la vérité164. » Mais quelle est cette vérité, accrochée au cinéma pour donner ce cinéma-vérité165 dont il est devenu à ses dépens le porte-parole ? « La vérité, je crois, est dans le fait que tout le monde — enfin tous ceux d’entre nous qui avons vécu les expériences que nous avons vécues — tout le monde vit sur deux plans, sur deux pensées : il y a une pensée officielle, politique, qui est une théorie de la société etc., et il y a une pensée profonde qui, souvent, est quelque chose de profondément nihiliste […] je crois que les deux plans sont vrais166. » Dostoïevski for ever.
1 Gaston Bachelard, Archive INA, 19 janvier 1954
2 Enquête sur la sensibilité esthétique dans le milieu technique contemporain (ou des influences du milieu technique contemporain sur la sensibilité esthétique). Essai de sociologie esthétique, Archives IMEC. Cette archive fera partie du tome 2 en préparation de publication qui réunira les textes d’Edgar Morin sur les médias entre 1952 et 1969.
3 Enquête, op. cit. , p 5
4 Enquête, op. cit. , p 7
5 Edgar Morin, Sur l’esthétique, Robert Laffont, 2016
6 Enquête, op. cit. , p 10
7 Enquête, op. cit. , p 10
8 Edgar Morin, Journal 1962-1987, Seuil, 2012, p 960
9 Edgar Morin, « Témoignages », in Pierre Grémion et Françoise Piotet, Georges Friedmann, un sociologue dans le siècle, 1902-1977, CNRS éditions, p157-162
10 Edgar Morin, Connaissance ignorance mystère, Fayard, 2017, p 136
11« Edgar Morin, Dominique Wolton, pour ne pas conclure », in Hermès 60, Edgar Morin au risque d’une pensée libre, Seuil, 2011, p 251
12 Valentin Feldmann, philosophe, juif et résistant exécuté au Mont Valérien, auteur de l’Esthétique française contemporaine en 1936
13 Edgar Morin, « Le silence de la mer », Parallèle 50, 8 avril 1949
14 Edgar Morin, Mes philosophes, Fayard/Pluriel, p 72
15 Hermes 60, op. cit. , p 248.
16 Mouvement National des Prisonniers de Guerre et Déportés
17 Voir dans les archives IMEC les lettres échangées avec les avocats de Roberto Rossellini au sujet de l’emprunt par le cinéaste du titre de l’ouvrage de Morin pour son film Allemagne année zéro.
18 Il y publiera plusieurs articles dont un consacré à Colette et l’autre à Henri Calvet
19 Edgar Morin, Une cornerie, Nagel, 1947 ; Edgar Morin, L’île de Luna, Actes Sud, 2017, écrit aux alentours de 1947, publié chez Actes Sud en 2017.
20 Françoise Bianchi, Le fil des idées, une éco-biographie intellectuelle d’Edgar Morin, Seuil, 2001, p 368
21 Corpus dont il est prévu une publication prochainement.
22 Edgar Morin, L’Esprit du temps, Armand Colin, 2008 [1962]
23 Parallèle 50, 23 Juin 1950
24 André Bazin, «Du théâtre transformé par la magie blanche et noire pour le cinéma», dans L'Écran français, 1948
25 Parallèle 50, 23 Juin 1950
26 Parallèle 50, 14/01/1949
27 Parallèle 50, 25/11/1949
28 Parallèle 50, 22 avril 1948
29 Parallèle 50, Avril 1948 ; article paru auparavant dans Les Lettres françaises, 166, 25 juillet 1947 ; cité par Laurent Le Forestier, La transformation Bazin, PUR, 2017, p 342
30 Parallèle 50, 6 décembre 1947
31 Parallèle 50, 13/05/1948
32 Association culturelle d’éducation populaire fondée en 1944, issue du pluralisme de la Résistance et de la rencontre entre artistes, intellectuels et syndicalistes.
33 Laurent Le Forestier, La transformation, op. cit. , p 293
34 « Délibérations de l'Assemblée Constitutive de l'Association pour la Recherche Filmologique, in Revue Internationale de Filmologie, n°1, juillet - août 1947, p. 94-95.
35 Gilbert Cohen-Séat, Essai sur les principes d’une philosophie du cinéma, PUF, 1946
36 Laurent Le Forestier, La transformation…, op. cit. , p 293
37 « Le premier congrès international de filmologie, 1947 », in RIF, n°3-4, oct 1948, p 367
38 Claude Brémond, « Mes années filmologiques », manuscrit en date du 2 juillet 2013, archives privées
39 Edgar Morin, séminaire sur la sociologie de la vedette, in RIF n° 11, juillet 1952
40 Voir infra dans cet ouvrage
41 Christian Delage, « Siegfried Kracauer, le Museum of Modern Art et la propagande nazie », in Philippe Despoix et Peter Schöttler, Siegfried Kracauer penseur de l’histoire, Editions de la MSH et les Presses de l’université de Laval, 2006, p 200
42 Olivier Agard, Kracauer Le chiffonnier mélancolique, CNRS éditions, 2010, p 246 ; voir aussi Peter Mandler Return from the Natives: How Margaret Mead Won the Second World War and Lost the Cold War, Yale University Press, 2013
43 Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du cinéma allemand, l’Age d’Homme, 2009 [1947]. L’approche théorique des textes de Kracauer se fait dans le chapitre 4 de cette présentation
44 Depuis les années 2000 un travail considérable a été réalisé pour mettre à disposition l’œuvre de Kracauer en langue française par les éditions de la FMSH, Stock, Flammarion, Payot, Le Promeneur. Ce qui a rendu possible un travail universitaire de qualité dans différentes disciplines.
45 « Au début des années 1950, Cohen-Séat demande une audience au président Auriol et le convainc de l’importance « nationale » d’engager des travaux sur le cinéma comme agent de conditionnement. Un comité scientifique est mis sur pied — composé de Raoul Dautry (ingénieur), René Leriche (chirurgien), Paul Montel (mathématicien) et Mario Roques —, qui écoute les hypothèses de Cohen-Séat puis recommande au président, dans une déclaration signée, que l’État subventionne les recherches du filmologue portant sur la suggestion mentale et le cinéma. Les subventions et les recherches doivent toutefois demeurer secrètes », in Martin Lefebvre, « L’aventure filmologique, jalons pour une histoire institutionnelle, Cinémas, 2009, vol 19, n° 2-3, p 92 : https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2009-v19-n2-3-cine3099/037547ar/
46 Edgar Morin, recension de l’ouvrage : Gilbert Cohen-Séat et Pierre Fougeyrollas L’Action sur l’homme, Cinéma et Télévision, in Cahiers de la république, Mai 1962, p 427
47 Martin Lefebvre, « L’aventure filmologique »,op. cit. , https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2009-v19-n2-3-cine3099/037547ar/ : « Le gouvernement, par l’entremise du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDEC) et du Service d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), lui offre des crédits supplémentaires. Pour qu’il puisse toucher aux fonds occultes qu’on lui verse, on donne à Cohen-Séat un faux emploi à la SEITA entre 1953 et 1956. Il récolte ainsi 50 millions d’anciens francs (une somme considérable pour l’époque), qu’il transfère ensuite au Groupe de recherche et d’études cinématographiques appliquées (GRÉCA) dont les membres à l’origine ne sont nuls autres que Cohen-Séat, Dautry, Leriche, Montel et Roques. Pour sa part, l’Association pour la recherche filmologique continue de recevoir une subvention annuelle de 2 millions d’anciens francs de la part du Centre national de la cinématographie (CNC), subvention qu’elle recevait depuis 1951 », in Martin Lefebvre, « L’aventure filmologique », op. cit. , https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2009-v19-n2-3-cine3099/037547ar/
48 « Les services secrets et l’armée se sont finalement désintéressés de l’affaire […] Du coup, on libère Cohen-Séat de toute obligation, morale ou autre, envers l’État. C’est à ce moment que ce dernier engage un procès et réclame la somme de 620 000 nouveaux francs au premier ministre — soit 120 000 francs à titre de remboursement de sommes investies et 500 000 francs à titre d’indemnité en réparation pour le mutisme qu’on lui avait imposé sur ses travaux. C’est d’ailleurs ce procès qui révèle que Cohen-Séat avait reçu 130 millions d’anciens francs pour ses recherches secrètes », in Martin Lefebvre, « L’aventure filmologique »,op. cit. , https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2009-v19-n2-3-cine3099/037547ar/
49 « Le 25 juin 1962, le conseil de l’université adopte à l’unanimité la dénonciation de la convention qui avait créé l’Institut de filmologie et la suppression du diplôme délivré sous son sceau. La délibération du conseil est transmise au ministère de l’Éducation nationale et ce n’est qu’en octobre que la section permanente du conseil de l’Enseignement supérieur se saisit de la question. Des tractations ont lieu en ce qui concerne le sort réservé aux étudiants déjà inscrits et un décret ministériel est signé par le premier ministre Georges Pompidou le 4 juin 1963 (paru dans le Journal officiel le 8 juin 1963) », in Martin Lefebvre, « L’aventure filmologique »,op. cit. , https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2009-v19-n2-3-cine3099/037547ar/
50 Voir sur le site de l’INA l’entretien donné en 1962 par Edgar Morin à l’occasion de la sortie de son ouvrage l’Esprit du temps, dans lequel il analyse les travaux de Lazarsfeld. Je remercie Réjane Vallée pour cette mention.
51 Edgar Morin, recension de l’ouvrage, op.cit., p 429
52 Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, op. cit. p 108
53 Edgar Morin Le cinéma, op. cit. , p 108
54 Edgar Morin, Le vif du sujet, Editions du Seuil, 1969, p 140 ; Edgar Morin, Journal, op. cit. , p 129
55 Edgar Morin, Le vif, op. cit. , p 139 ; réédité in Edgar Morin, Journal, op. cit. , p 128
56 Cette partie du journal écrite en 1963, est publiée une première fois en 1969 sous le titre Le vif du sujet, puis en 2012 dans le Journal, op. cit.
57 Edgar Morin, Le vif du sujet, op. cit. , p 140 ; Journal, op. cit. , p 129
58 Edgar Morin, Journal, op. cit. , p 131
59 Dans « Papiers d’identité », avant propos de la première édition de Edgar Morin, Science avec Conscience, Fayard, 1982, p 8, cité par Françoise Bianchi, Le fil des idées, op. cit. , p 379
60 Edgar Morin, Science avec conscience, Sciences Humaines, 1990
61 Edgar Morin, Journal, op. cit. , p69
62 Edgar Morin, Journal, op. cit. , p153
63 Edgar Morin, L’homme et la mort, Seuil/Essais, 1970, [Correa 1951], p 31
64 Otto Rank, Don Juan et Le Double, Payot, 1990, [Denoël, 1932]
65 Sandor Ferenczi, Transfert et introjection, Payot, 2013, [1909].
66 Carl Gustav Jung, Les Métamorphoses de l’âme et ses symboles, Livre de poche, 2014, [1950 pour la traduction française, 1912, pour l’édition allemande] ; Carl Jung, « Les aspects psychologiques de l’archétype de la mère » in Les racines de la conscience, Buchet-Chastel, 1938
67 Edgar Morin, « Bataille, l’aérolithe », in Cahiers Bataille, éditions Les Cahiers, n° 3, 2016, p 14 ; voir aussi Roger Caillois, « Le cinéma, le meurtre et la tragédie », in Revue Internationale de filmologie, 1949, n°5.
68 Georges Bataille, La part maudite, éditions de minuit, 1949. Dans l’immédiat après-guerre Georges Bataille fréquente le groupe de la rue Saint Benoit. Il y rencontre Edgar Morin, voir Edgar Morin, « Bataille, l’aérolite », in Cahiers Bataille, op. cit.
69 Edgar Morin, L'homme et la mort, op. cit. , p 164
70 Edgar Morin, L’homme et la mort, op. cit. , p 212
71 Edgar Morin, « Le cinéma sous l’angle sociologique », voir texte infra dans cet ouvrage
72 Jean Epstein, Ecrits sur le cinéma, Seghers, 1974, tome 1, p 199
73 Jean Epstein, Ecrits sur le cinéma, op. cit. , tome 1, p 91
74 Edgar Morin, Journal, op. cit. , p 152
75 Bandits à Orgosolo, film de Vittorio de Seta sorti en salle en 1961, noté par Morin dans son Journal de 1963, p 152
76 Edgar Morin, L’homme et la mort, op. cit. , p 211
77 Edgar Morin, « Le cinéma sous l’angle sociologique », voir texte infra
78 Edgar Morin, Connaissance…, op. cit. , p 129
79 Edgar Morin, Journal, op. cit. , p 132 : « tous les esprits nés de nos esprits se nourrissent de nos esprits et les nourrissent de notre protection ou du salut qu’ils nous promettent […] c’est la naissance d’un univers fantôme doté d’effet de réalité »
80 Edgar Morin, Le Cinéma ou l’homme imaginaire, op. cit. , p 212
81 Idem
82 Voir le début cette présentation
83 Béla Balàzs, Theory of Film, Dennis Dobson, 1952, p 168, in Edgar Morin, Le Cinéma ou l’homme imaginaire, op. cit. , p 77
84 Voir Edgar Morin, Journal, op. cit. , p 957-958 [5 septembre 1973]
85 Edgar Morin, « Le contenu des films », tapuscrit, archive Edgar Morin, circa 1955-1957, p 9
86 Idem
87 Edgar Morin, « Pour une sociologie du cinéma », in La Communication audiovisuelle, Apostolat des éditions, 1969, p 289 (Roland Barthes publie dans cet ouvrage « Le message photographique»)
88 Edgar Morin, « Le contenu des films », op. cit. , p 1
89 Rencontre avec Edgar Morin autour du manuscrit de cet ouvrage, juin 2017
90 Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, op. cit. , p 220
91 Archives déposées mais non classées au Centre Edgar Morin, qui seront déposées à l’IMEC
92 Voir texte infra
93 Voir texte infra
94 Voir texte infra
95 Voir chapitre 2 de cette présentation
96 Voir l’introduction de William O. Beeman, in Margaret Mead et Rhoda Metraux, The Study of Culture at a distance, Berghahn Books, 2000
97 Peter Mandler, Return from the Natives: How Margaret Mead Won the Second World War and Lost the Cold War, Yale University Press, 2013, p 26
98 Ce sera le « Héros dans le film » dont l’enquête préliminaire paraît dans le premier numéro de la revue Communications : Claude Bremond, Evelyne Sullerot, Simone Berton, « Les héros des films dits de la « Nouvelle Vague », en ligne :http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1961_num_1_1_924
99 En ligne : http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001353/135347fb.pdf; p10
100 Siegfried Kracauer, « Les types nationaux vus par Hollywood », in Revue internationale de filmologie, n° 6, 1950
101 Siegfried Kracauer, Théorie du film, la rédemption de la réalité matérielle, Flammarion, 2010
102 Leonardo Quaresima, « De faux amis : Kracauer et la filmologie », in Cinemas, op. cit. L’auteur évoque une lettre de Morin à Kracauer du 23 mars 1957, fonds krac doc 22/2742/1, et la lettre de Morin à Kracauer du 28 décembre 1961, fonds Kracauer doc 72.2742/2.
103 Archive IMEC, fonds Morin, Lettre de Kracauer à Morin du 1 Mai 1962
104 Texte publié dans cet ouvrage
105 Theodor Adorno et Max Horkheimer ont publié en 1947 Dialectique de la raison, Gallimard, 1974
106 Edgar Morin, L’Esprit du temps, op. cit.
107 Gilbert Seldes, The Great audience, The Viking Press,1950
108 Edgar Morin, Le contenu des films, op. cit. , p 22
109 Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, op. cit. , p 220
110 Voir texte dans cet ouvrage, première publication dans Esprit, juin 1960, « Situation du cinéma français », p.960-967
111 Siegfried Kracauer, “Le cinéma, reflet des tendances profondes des peuples », Revue d’esthétique, numéro spécial, 1973, p 17-25, (ce texte est la traduction partielle par Dominique Noguez de l’introduction par Kracauer de son ouvrage De Caligari à Hitler, op. cit.)
112 Edgar Morin, Manuscrit, prolonge le tapuscrit Le contenu des films p 22, Archive Centre Edgar Morin
113 Miriam Bratu-Hansen, Cinema and Experience, Siegfried Kracauer, Walter Benjamin, and Theodor W. Adorno, University of California Press, 2012.
Nous nous promettons, dans une étude à venir, d’étudier la matière mortelle du cinéma chez Kracauer et Morin.
114 Rodolphe-Maurice Arlaud, Cinéma-bouffe, le cinéma et ses gens, 1945, p 8
115 Edgar Morin, Le contenu des films, op. cit. , p 33, Béla Bàlazs, Der sichtbare Mensch oder die Kultur des Films, Globus Verlag, 1949
116 Edgar Morin, Le contenu des films, op. cit. , p 33
117 Idem
118 Edgar Morin écrit 6 tomes de son œuvre La Méthode entre 1977 et 2006
119 Jean Amrouche, « Le cinéma et l’homme du XX° siècle », émission des Idées et des Hommes, Archives INA, 1956 ou 1957
120 Roland Barthes, « Lettre du 12 Aout 1954 à Edgar Morin sur l’Homme et la mort », in Morin, l’Herne, 2016, p135
121 Les articles de la Nef sont publiés en quasi-totalité dans cet ouvrage
122 « Le directeur de l’Institut de filmologie prend part principalement à deux types d’enquêtes. Un premier groupe repose sur l’élaboration d’un test de projection ou Test Filmique Thématique (TFT) dans l’esprit du test de Rorschach et, surtout, du Test d’Aperception Thématique de Murray (TAT) », in Martin Lefebvre, op. cit. , https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2009-v19-n2-3-cine3099/037547ar
123 Jacques Rancière, « Sur Roland Barthes et le cinéma », in Philip Watts, Le cinéma de Roland Barthes, de l’incidence éditeur, 2015, p 165
124 Edgar Morin, « Le contenu des films », op. cit. , p 49
125 Violette Morin, « Les Olympiens », in Communications, 1963, n°2
126 Roland Barthes, « La vedette : enquêtes d’audience ? » in Communications, 1963, n°2
127 Ce laboratoire a par la suite changé de noms de multiples fois pour s’appeler aujourd’hui, après sa partition en 1983, d’une part le CRAL/EHESS/CNRS (Centre de recherches sur les arts et le langage), d’autre part le CEM/IIAC/EHESS/CNRS (Centre Edgar Morin).
128 Morin refusera jusqu’au bout de s’aventurer en sémiologie, attendant patiemment que Barthes s’en écarte pour reprendre le dialogue intellectuel avec lui
129 Claude Bremond, Evelyne Sullerot, Simone Berton, « Les Héros des films dits de la « Nouvelle Vague », op. cit.
130 François Bordes et Olivier Corpet, « Autour d’Arguments », in Morin, l’Herne, 2016, p 44
131 Edgar Morin, « Claude Lefort, 1924-2010 », in Hermes 59, 2011, p 191
132 Edgar Morin, « Le contenu des films », manuscrit chapitre II, op. cit. , p 1, 5, 13
133 Luc de Heusch, « Jean Rouch et la naissance de l’anthropologie visuelle », in l’Homme, 180, 2006, p 49
134 Edgar Morin, Commune en France, la métamorphose de Plozevet, Fayard, 1967.
135 Ce festival a depuis lors pris le nom de Festival dei Popoli
136 Roland Barthes, « En sortant du cinéma », in Communications, 23, 1975.
137 Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, op. cit. , p 48
138 Roland Barthes, « Lettre à Edgar Morin », in Morin, op. cit. , p 135
139 Cet ouvrage réédite l’intégralité du texte de Morin
140 Archives INA, 25 émissions du 17/07 au 30/08 1991, sur Chronique d’un été, producteur Jean Pierre Pagliano
141 Frédérique Berthet, La voix manquante, POL, 2018
142 Voir texte de François Bucher à l’intérieur de cet ouvrage
143 Séverine Graff, Le cinéma-vérité, films et controverses, Presses universitaires de Rennes, 2014
144 Voir le texte de François Bucher dans cet ouvrage
145 Découvrir les films de Jean Rouch, CNC éditions, 2010, p 50
146 Voir le texte de François Bucher dans cet ouvrage
147 Edgar Morin, « Le contenu des films », op. cit. , p 32
148 Edgar Morin, Archive sans date ; dans les brouillons du début des années 50
149 Edgar Morin, « Le contenu des films », op. cit. , p 38
150 Séverine Graff, Le cinéma-vérité, op. cit.
151 Edgar Morin, Archive Edgar Morin, circa 1966
152 Bertand Bacqué, Cyril Neyrat, Clara Schulmann et Véronique Terrier Hermann (dir), Jeux sérieux, cinéma et art contemporains transforment l’essai, Mamco eds, 2015
154 Edgar Morin, « Le cinéma-vérité », émission Un certain regard, 16 Janvier 1966. Archives INA
155 Au décès de Denise Naville Pierre Naville épousera Violette Morin
156 Pierre Naville, Lettre à Edgar Morin du 9 Août 1963, Fonds Morin, Archives IMEC
157 Il n’est pas précisé s’il s’agit de Marc ou de Colette Piault
158 Pierre Naville, Lettre à Edgar Morin du 8 Février 1966, Fonds Morin, Archives IMEC
160 Pierre Naville, Lettre à Edgar Morin du 24 février 1966, Fonds Morin, Archives IMEC. Cela fait référence à son article Pierre Naville, « Instrumentation et recherche en sociologie », in Revue Française de Sociologie, VII, 1966
161 Pierre Naville, Lettre à Edgar Morin du 17 Mai 1967, Fonds Morin, Archives IMEC : « Notre petit stage avec Morillère ne va pas mal. Les camerawomen sont bonnes. Morillère se déclare un peu épaté par les premiers essais. »
162 Voir le témoignage de Colette Piault dans la revue Terrain en 1986, http://journals.openedition.org/terrain/2899?lang=en
163 Roger Morillère continuera à former les chercheurs à la caméra jusqu’en 1980. Son poste sera occupé par la suite par Annie Comolli
164 Edgar Morin, Journal, op. cit. , p 959 [5 septembre 1973]
165 En 1969 un contrat fut signé puis abandonné entre Edgar Morin et Jean-Louis Comolli pour un ouvrage qui devait réunir les articles d’Edgar Morin sur le cinéma-vérité (Voir fonds Morin, Archives IMEC)
166 « A quoi croyons-nous ? » Fragments du comité de rédaction de la revue Arguments, 10 janvier 1959
Monique Peyrière, « Sur le cinéma. Les théories en acte d’Edgar Morin », Revue française des méthodes visuelles. [En ligne], 2 | 2018, mis en ligne le 12 juillet 2018, consulté le . URL : https://rfmv.fr